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Le Sensitivity Reading

 
Erica Galyon

Qu’est-ce qu’un sensitivity reader ?

 

Le ou la sensitivity reader est une personne, dont le métier consiste à vérifier un texte (article de blog, de presse, roman, scénario etc.) pour détecter les éléments qui pourraient véhiculer des stéréotypes mal perçus par certaines communautés, tels que racisme, misogynie, grossophobie, homophobie, handiphobie etc.

Le rôle du sensitivity reader

 

La mission principale de ces contrôleurs de sensibilité est de procéder à un examen complet et  rigoureux d’un texte en cours d’édition, afin de mettre en lumière les passages, vocabulaires ou tournures de phrases offensantes pour certain.e.s lecteur.ice.s.

 

Cette activité est en principe rémunérée par la maison d’édition, l’auteur.ice ou la production, au même titre que la relecture, correction, édition d’un manuscrit. Le métier est apparu aux Etats-Unis ces dernières décennies, mais se développe peu à peu en Europe. Quelques maisons d’éditions françaises ont d’ores et déjà commencé le processus, comme Akata, Casterman, Nouriturfu ou Monstrograph. L’autrice Cordélia, connue pour son engagement dans la représentation en littérature, a elle-même fait appel à Gaby, un relecteur/sensitivity reader pour son roman jeunesse L’éveil des sorcières, qui met en scène une jeune fille sourde.

Les avantages du sensitivity reading

 

Si le métier commence tout doucement à s’exporter des États-Unis jusqu’en Europe, il y a encore de grands progrès à faire. Mais surtout, laissez-moi vous dire qu’il était grand temps que l’idée arrive. Lorsqu’il s’agit d’écrire sur des minorités, la France n’est pas bonne élève. Comme le dit si bien Cordélia, le monde de l’édition française a tendance à être uniforme. Jusqu’à aujourd’hui du moins, les points de vue des éditeur.ice.s étaient majoritairement blancs, hétérosexuels, cisgenres, bref, privilégiés. Pourquoi ? Car l’avis des minorités serait “forcément biaisé par leurs expérience personnelle”, comme si les premiers étaient toujours si objectifs… Ce dont le monde de l’édition a besoin, ce n’est pas seulement de la diversité dans les romans, mais de la “diversité derrière la plume”.

 

Pour autant, un grand nombre d’auteur.ice.s, d’éditeur.ice.s et de libraires ont bien accueilli le concept. Pourquoi ? Car faire appel à un.e professionnel.le ou à un.e relecteur.ice spécialisé.e dans le sujet sensible traité, ne peut qu’améliorer l’écrit. Qu’est-ce que le sensitivity reading enlève à un roman ? Rien. Par contre, il assure (ou presque) de ne blesser personne. Tout est à y gagner.

 

Non seulement le sensitivity reading ajoute du tact, mais il rend les livres jeunesses (pour ne citer qu’eux) moins stéréotypés, ce qui est non négligeable si l’on considère que le public visé est plus influençable et encore en apprentissage des notions de la vie.

Exemples concrets

 

En 2020, la maison d’édition Nouriturfu a souhaité publier un livre sur le racisme et la suprématie blanche. L’auteur, un homme blanc, a conscience de ses privilèges et a écrit son roman selon cet angle. Le sujet est touchy, mais bienveillant. Cependant, l’éditeur, Antonin Iommi-Amunategui, s’est tout de même offert les services d’un sensitivity reader, car, selon lui, “les bonnes intentions ne suffisent pas”. Oui, le sujet du roman partait d’une bonne intention. Mais il fallait faire attention à être adroit dans les expressions. Et pour s’en assurer, il faut faire appel à ce genre de service.

 

Dans le cas de la maison d’édition Monstrograph, l’autrice Lou Sarabadzic a elle-même demandé à faire relire son texte par un sensitivity reader pour s’assurer que son nouveau recueil, Poétique réjouissante du lubrifiant, soit le plus inclusif possible.

 

Chez Livre Hebdo, un éditeur s’est assisté d’un sensitivity reader pour conseiller à une des autrices de ne pas utiliser les termes “estropié” ou “difforme” pour parler d’un personnage ayant perdu un membre. Ce genre de vocabulaire peut notamment offenser des lecteur.ice.s handicapé.es.

Que répondre aux arguments sur la censure ?

 

Le sensitivity reading conduit-il à une forme de censure ? Que se passerait-il si des grandes maisons d’édition imposaient ces mesures ? Qu'arriverait-il aux auteur.ice.s qui ne s’y conformeraient pas ? 

 

Gaby, sensitivity reader que nous vous avons présenté au début de cet article, pense qu’il est exagéré, voire injuste, de brandir la carte de la liberté d’expression pour justifier que les minorités soient mal représentées. Pour contrer cet argument, il propose à ceux et celles qui l’utilisent de se mettre quelques minutes à la place des personnes minorées. Que ressentiriez-vous face au racisme, au sexisme, au validisme ? Comment affronteriez-vous les obstacles, comment feriez-vous pour affirmer votre existence dans un monde où on vous ignore, ou pire ? Selon lui “dans une société plus juste, on n’aurait pas besoin du sensitivity reading”.

 

Dans le même ordre d’idée, l’autrice Laura Nsafou réfute l’idée d’une police de la pensée. Pour elle, ce genre de relecture veille simplement à ce qu’il n’y ait pas d’acharnement, d’injustice ou d’irrespect. Et à elle de préciser que “si des personnes estiment qu’une œuvre va perdre en qualité parce qu’il n’y a pas de propos discriminants dedans, on se demande quelle littérature ils défendent”. 

Avez-vous compris ce qu’apporte un sensitivity reader ? Pensez-vous y faire vous-même appel si vous publiez votre livre ? N’hésitez pas à venir partager vos propres expériences sur le sujet, dans le discord de Génération Ecriture. Pour finir, je citerai l’autrice américaine Marjorie Ingall, qui proclame qu’”aucun contrat de livre n’a jamais été annulé sur les conseils d’un sensitivity reader. Le sensitivity reader n’est pas une censure”.


EricaGalyon
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