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The Sword of Kaigen, de M. L. Wang

 
Lyra C.

Quand j’ai pris connaissance du thème du dossier du mois, j’ai sauté sur l’occasion pour vous parler un peu de The Sword of Kaigen, que j’ai lu en juillet dernier et qui a établi ses quartiers dans mes pensées sans me laisser tranquille depuis lors. The Sword of Kaigen, c’est un roman de fantasy militaire d’inspiration japonaise, vainqueur du Self-Published Fantasy Blog-Off de 2019, écrit par M.L. Wang et auto-édité en 2019 avec Amazon Kindle Publishing. Il fait partie de l’univers de Theonite, une saga que l’autrice a décidé d’interrompre après le deuxième tome, mais c’est un roman indépendant et il n’est pas nécessaire de lire la saga pour comprendre le livre.

Mais de quoi ça parle, dis donc ? The Sword of Kaigen, c’est l’histoire de la famille Matsuda, qui vit dans les montagnes aux confins de l’empire de Kaigen, et qui voue de père en fils sa vie à l’empereur en s’engageant à défendre le pays contre de potentiels envahisseurs. Ils apprennent très tôt le maniement du sabre et la maîtrise du jiya, une capacité qui permet de contrôler l’élément eau. Mais c’est surtout l’histoire de Misaki et de son fils, Mamoru, qui se partagent le point de vue du roman. À quatorze ans, Mamoru est le fils aîné de Misaki et il a été élevé pour être le combattant le plus parfait possible. Il croit véritablement au bien-fondé de la mission qui pèse sur lui et sur sa famille, jusqu’au jour où un élève étranger arrive dans sa classe et lui révèle que l’Empire qu’il est né pour défendre pourrait être bien bâti sur un tissu de mensonges. Misaki est une femme au foyer qui cache une épée dans un placard, vestige d’une époque où elle possédait la liberté de se comporter de la manière dont elle le souhaitait. Elle est devenue l’épouse de Takeru, petit frère du chef de famille, suite à un mariage arrangé. Elle vit une existence frustrante entre les murs de la demeure Matsuda, prisonnière d’un traditionalisme sexiste qui réduit les femmes au rôle de mère et d’épouse. Devant les questions inquiètes de son fils et la froideur passive horripilante de son mari, ses vieilles habitudes de jeunesse refont surface, alors que la menace d’une invasion ennemie plane à l’horizon.

 

Tout d’abord, parlons un peu de l’univers. The Sword of Kaigen présente un monde avec plusieurs peuples qui maîtrisent chacun un élément différent, ce qui n’est certes pas particulièrement original, mais la manière dont le sujet est traité est assez bien maîtrisée. Parmi les habitants de Kaigen, qui contrôlent donc l’eau, chaque famille a une manière différente de traiter son pouvoir selon l’endroit où elle habite. Les Tsusano, la famille de Misaki, habitent près de rivières et se sont spécialisés dans la manipulation du sang, tandis que les Matsuda, qui vivent dans la péninsule Kusanagi, en région montagneuse, sont connus pour leur technique dénommée Whispering Blade, c’est-à-dire le fait de créer une épée incassable en glace. C’est en partie grâce à cette technique qu’ils ont acquis leur réputation de guerriers. Le jiya est une capacité physique qui change leur manière d’interagir avec leur environnement et dépend de lui, plutôt qu’un pouvoir magique. Cela m’a rappelé la série d’animation Avatar, le dernier maître de l’air, qui traite son système de magie élémentaire d’une manière similaire.

En outre, Kaigen est un pays inspiré du Japon et de la culture japonaise, et si vous aimez bien les arts martiaux, ce livre est fait pour vous. J’ai adoré la manière dont les combats d’arts martiaux étaient décrits, je ne saurais expliquer pourquoi exactement. Ils ne sont ni trop expliqués, ni pas assez, on arrive bien à s’imaginer la scène sans que cela soit écrit avec lourdeur. M.L. Wang est elle-même professoresse d’arts martiaux (oui oui, elle est autrice et maîtresse d’arts martiaux, c’est doublement la classe), c’est peut-être pour ça que les scènes sont si bien réussies. The Sword of Kaigen parle aussi des problèmes de la mentalité japonaise traditionnelle, en particulier de la pression provoquée par l’honneur et la tradition familiale. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est que si les habitants de la péninsule Kusanagi vivent et pensent de manière très traditionnelle, ce n’est pas le cas du monde de fantasy créé par M.L. Wang dans son ensemble, qui se rapproche plus de l’époque actuelle (un des personnages mentionne les jeux vidéo à un moment ! Je ne m’y attendais pas).

Jusqu’ici, l’histoire a tout de même l’air assez classique. Alors pourquoi, me direz-vous, ai-je tellement aimé ce livre ? Pour deux raisons. La première, c’est que ce qui fait l’originalité du roman à mes yeux, par rapport à d’autres romans de fantasy militaire, est que l’on ne se concentre pas tant que cela sur la guerre en elle-même, mais plutôt sur les conséquences de la guerre et la réaction à la guerre des populations civiles. Toutes les thématiques abordées – la propagande de l’Empire, la désinformation, la violence de la guerre et des soldats ennemis, le deuil – ne sont pas vues à travers les yeux de ceux qui font la guerre mais de ceux qui se retrouvent confrontés à la guerre alors qu’ils n’auraient jamais dû l’être. On voit la propagande à travers les yeux d’un enfant qui découvre pour la première fois que son pays lui ment, et le personnage principal est une mère de famille et une femme au foyer, et non une soldate. Le thème le plus important de l’histoire reste toujours la famille, et la guerre est quelque chose qui survient malgré tout, qui infiltre et modifie les rapports habituels entre les différents membres de cette famille. Cela donne une dimension assez réaliste à l’histoire, que j’ai trouvé très appréciable.

 

La deuxième raison pour laquelle j’ai adoré ce livre, c’est pour l’écriture des personnages, et en particulier celle de Misaki. Misaki a grandi en dehors de la péninsule de Kusanagi, dans une famille moins patriarcale, et elle a étudié pendant son adolescence dans une ville internationale, où elle a rencontré des personnes de cultures différentes. Elle a donc tout à fait conscience de la violence du patriarcat qu’elle subit. Mais même si c’est son père qui voulait de ce mariage arrangé, elle a finalement accepté de jouer selon les règles dictées par les hommes, parce qu’elle pensait que ce serait le mieux pour ses futures enfants. Trop souvent, certains auteurs essayent d’écrire des personnages féminins en se disant féministes, pour au final se montrer plus sexistes qu’autre chose en déniant aux personnages féminins toutes valeurs traditionnellement associées à la féminité et en ne valorisant que des caractéristiques dites masculines. Ce n’est pas le cas dans The Sword of Kaigen. Misaki est une héroïne féministe, parce qu’elle n’est parfaite selon aucune échelle de valeurs. Elle n’est pas la femme parfaite selon le modèle patriarcal, parce que ce n’est pas la mère idéale et qu’elle fait des erreurs dans la manière où elle élève ses enfants. Mais elle n’est pas non plus une icône révolutionnaire qui va soudainement abattre le patriarcat en tuant les hommes de la famille Matsuda à coup d’épée. Elle est écrite de manière crédible, comme un personnage qui est autorisé à avoir des défauts et à commettre des erreurs, avec la nuance qui est si souvent refusée aux personnages féminins, qui sont dans certaines œuvres plus « lisses » que les personnages masculins. Cela fait d’elle un personnage particulièrement réaliste, et elle est aussi réaliste en tant que femme, dans la mesure où s’opposer vigoureusement au patriarcat n’est pas toujours possible pour nous.

Voilà encore une chose qui m’a marquée dans The Sword of Kaigen : les personnages sont très réalistes, ils font vrai. Leur manière de réagir aux évènements ne paraît ni trop dramatique, ni trop insignifiante. Alors quand ils souffrent, on souffre avec eux. La façon d’agir des personnages paraît toujours cohérente avec les expériences qu’ils ont vécues, même pour Takeru, dont les réactions (ou l’absence de réaction) nous frustrent continuellement tout au long du roman.

Mamoru, le deuxième protagoniste, est un personnage que j’ai adoré aussi. Il y a énormément de bonté en lui, malgré l’éducation stricte et patriarcale qu’il a reçue (vous allez vouloir l’adopter) (mais si, puisque je vous le dis). En tant que fils des Matsuda, il s’entraîne dès son plus jeune âge dans le but de réaliser leur technique familiale, la Whispering Blade, et il souffre de la crainte de ne pas être à la hauteur, même s’il est considéré comme prometteur. Sa relation avec Misaki est très touchante et j’ai absolument adoré toutes les scènes qu’ils partageaient.

Les personnages secondaires ne sont pas en reste. Il y a relativement peu de personnages, ce qui permet de tous leur donner leur moment d’importance. Hiroshi, le deuxième fils de Misaki, est un personnage que j’ai trouvé très intéressant, et j’aurais aimé qu’on le voie un peu plus. J’ai aussi beaucoup aimé Kwang, l’élève étranger qui cherche à prouver à Mamoru l’existence de la propagande. J’ai adoré Setsuko, la femme du frère de Takeru et la meilleure amie de Misaki. C’est un peu le câlin personnifié, on a tous besoin d’une Setsuko dans notre vie. S’il n’y a pas beaucoup de personnages féminins dans le roman, j’ai beaucoup aimé la relation entre les trois femmes des combattants les plus importants de la péninsule Kusanagi, et la manière dont elles se rapprochent toutes les trois pour survivre dans cet univers patriarcal.

 

Si vous lisez en anglais, que vous voulez découvrir une histoire de fantasy qui a pour thème principal la famille, tout en discutant de sujets importants comme la propagande, les conséquences de la guerre et du patriarcat, foncez ! J’espère vous avoir convaincus de lire le roman, et à la revoyure !


Lyra C.
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