
Se faire éditer
Loreleï
INTRO
Lorsque j’ai achevé l’écriture de mon premier roman, je refusais d’entendre parler d’édition. La simple idée de me plonger dans la jungle de l’édition suffisait à geler toute ambition littéraire. L’envie est venue après l’écriture de mon troisième manuscrit, qui fut aussi mon premier roman publié. Nous étions alors en 2014, et les contenus éditoriaux sur l’édition se faisaient rares. Aujourd’hui, les sources se sont développées de façon exponentielle. On ne compte plus le nombre de vidéos, comptes Instagram, masterclass et que sais-je encore, dédiés à l’édition. Nous avons l’embarras du choix. Trop, peut-être. Difficile, dès lors, de différencier le vrai du faux, de ne pas se laisser effrayer par les mauvaises expériences, ou submerger par la quantité de choses à savoir. Raison pour laquelle je vais tenter ici d’être la plus claire et concise possible et donner les clefs afin d’être édité dans les meilleures conditions possibles.
Compte d’auteur, compte d’éditeur : ne vous trompez pas d’adresse
Il existe deux types de maisons d’édition en France :
La première, c’est les maisons d’édition dites à « compte d’éditeur ». L’éditeur prend à sa charge tous les frais relatifs à la publication et à la promotion de votre ouvrage ET vous rémunère en droit d’auteur.
Rien d’exceptionnel à cela. En tant qu’auteur, vous fournissez un travail, et il est juste que l’éditeur vous rémunère pour cela, puisque, en lui cédant vos droits, vous lui permettez d’en assurer la commercialisation, et donc, d’en tirer bénéfice.
À l’inverse, il existe les maisons d’édition à compte d’auteur, qui vous demandent de participer aux frais de la publication de votre ouvrage, en déboursant une somme en échange de sa publication ou en vous contraignant à acheter et écouler un certain nombre d'exemplaires. Ces structures prétendument éditoriales n’hésitent pas à demander des milliers d’euros (un contrat de ce type va généralement de 1500 à 3000 euros) pour la simple impression de votre livre. Malgré ce montant, il arrive que des auteurs acceptent ces conditions par dépit, ou méconnaissance du milieu du livre.
La pratique du compte d’auteur amène à penser qu’il est nécessaire de payer pour être édité. Or, c’est à l’éditeur de vous rémunérer en tant qu’auteur, et de vous verser des droits d’auteur en échange de la cession des droits de votre œuvre.
Autre problème, il n’y a aucune sélection des manuscrits, la maison accepte tout, sous peu que l'auteur passe à la caisse. On note, également dans ces structures, un travail éditorial bâclé (quand travail éditorial il y a), ainsi qu’une absence de promotion et de diffusion de votre livre. Compréhensibles, puisque l'édition de votre livre ne demande aucun investissement de leur part et que vous avez déjà payé, ils n’ont aucun intérêt à défendre et soutenir votre livre.
Bien que décriée, cette pratique n’est pas considérée comme illégale. Elle le devient en revanche quand l’éditeur pratique ce que l’on appelle du compte d’auteur déguisé, en se faisant passer pour une structure éditoriale classique.
Attention, je ne parle pas ici de prestataires de services (comme les imprimeurs, correcteurs, ou plateforme d’impression), ni même de l’auto-édition, puisque dans ce dernier cas, c’est l’auteur seul qui choisit d’assurer la publication et la promotion de son livre. Je vous renvoie aux articles de ce webzine sur le sujet.
Vérifiez donc bien que vous vous adressiez à une maison à compte d’auteur, en épluchant son site, ou en demandant un modèle de contrat d’édition type.
Ciblez efficacement les maisons d’édition
Parvenir à faire le distinguo entre maisons d’édition à compte d’auteur et d’éditeur n’est pas suffisant pour cibler efficacement les maisons d’édition.
La première des choses est d’établir une liste des structures à contacter. Si vous n’en connaissez pas, une petite phase de recherche s’impose.
La méthode la plus fiable, et la plus accessible est de se promener en librairie et de demander conseil à son libraire. Mais vous pouvez aussi faire vos recherches sur internet, puisqu'il existe quantité de forums et de sites proposant des listes de maisons.
Quelle que soit votre approche, je vous recommande de prendre le temps de lire un ou deux livres de la maison que vous ciblez, pour vous faire une idée de leurs exigences.
Une fois que vous avez votre liste, opérez à un tri drastique. Il est nécessaire de cibler les maisons d’édition à la fois susceptibles d’être intéressées par votre manuscrit, mais aussi de lui trouver une place dans leur catalogue. En effet, un livre n’existe pas à lui seul, mais dans des collections qui composent le catalogue de la maison. Lui-même déterminé en fonction de la ligne éditoriale.
Une fois votre choix fait, n’hésitez pas à jeter un œil aux sites des maisons d'édition. Cela vous donnera plusieurs informations cruciales :
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La ligne éditoriale de la maison : c’est l’identité de cette maison d’édition. Les genres, thèmes, et engagement qu’elle décide de défendre.
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L’aspect des ouvrages : Les couvertures sont-elles réalisées par des professionnels ? Ou au contraire (trop) artisanales ? Les résumés sont-ils clairs ? Les ouvrages bien mis en avant ? Si vous répondez non à une ou plusieurs questions, demandez-vous si vous voulez vraiment voir votre livre publié dans ce catalogue.
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Le nombre de parutions : Trop peu de parutions c’est le signe que la maison est jeune, peu active, et peut-être fragile. Trop élevés, qu’elle publie à tout va, et que vous risquez éventuellement d’être noyés dans la masse et de bénéficier de peu de promotion.
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La puissance de diffusion de la maison d’édition : Vérifiez que la maison soit bien distribuée et diffusée. Cela lui permet d’avoir une présence en librairie, et donc, de mieux vendre votre ouvrage.
Préparer l’envoi de votre manuscrit
Une fois que vous avez la liste des maisons d’édition à contacter, je vous conseille grandement de faire un tableau répertoriant leurs exigences. Certaines maisons voudront une mise en page spécifique, ou souhaiteront également étudier un synopsis, une biographie ou une lettre d’accompagnement, quand d’autres vous demanderont seulement le manuscrit.
Comme il est encore relativement rare de faire appel à des agents littéraires, en particulier en début de carrière, je n’évoquerai pas ici ce cas de figure.
La mise en page
Si vous avez fait bêta lire et corrigé votre manuscrit (par d’autres que votre oncle ou votre grand-mère, j’entends) et vous vous êtes assuré d’avoir devant vous la version la plus aboutie de votre texte, vous pouvez préparer son envoi.
Dans le cas où rien n’est indiqué sur le site de l’éditeur, je vous conseille d’opter pour la mise en page suivante :
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Police lisible et pas fantaisie, taille 11 ou 12, interligne 1,5, marge suffisante, reliure.
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Indiquer en première page vos coordonnées, afin que l’éditeur puisse vous recontacter en cas de besoin, mais aussi les caractéristiques du manuscrit (son titre, son genre, le public auquel il s’adresse, son nombre de signes espaces comprises, s'il s'inclut dans une série.)
Les documents à joindre à l’envoi
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Votre manuscrit, évidemment (ne riez pas, dans le feu de l’action, j’ai parfois oublié de le joindre à mon mail)
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La lettre d’accompagnement : dans laquelle vous allez présenter succinctement votre texte, son genre, les thématiques qu’il aborde, les raisons pour lesquelles vous contactez cette maison, mais aussi votre parcours d’auteur. Ce document très codifié défend votre manuscrit et permet à l’éditeur de se faire une première idée de votre projet et de sa possible correspondance avec la ligne éditoriale.
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Le synopsis de votre livre : Document d’une à deux pages qui va permettre à l’éditeur de comprendre très vite de quoi parle votre texte. Il doit présenter le début, mais aussi la fin de votre histoire, les protagonistes principaux, le déroulement de l'intrigue, et les thèmes importants.
Selon les maisons d’édition auxquelles vous vous adressez, vous pourrez envoyer votre manuscrit par courrier ou par email.
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Dans le cas d’un envoi courrier : Évitez les lettres recommandées, elles arrivent rarement jusqu’au bureau du comité.
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Dans le cas d’un envoi par mail : Soignez l’objet, mais également le corps de votre mail. Rien de plus désagréable que de recevoir un manuscrit sans un bonjour ni au revoir.
Les délais des maisons d’édition varient de trois à six mois, un an dans certains cas. N’hésitez pas à faire plusieurs vagues d’envois (d’où l’usage d’un tableau pour vous y retrouver) en privilégiant les maisons d’édition que vous préférez.
Après l’envoi :
Comment est étudié notre texte ?
Le manuscrit n’arrive pas directement sur le bureau de l’éditeur, il passe d’abord par le stagiaire qui fait les premiers tris, puis le comité de lecture et/ou l’assistant édito l’étudie. S’ils sont intéressés, le directeur de collection ou l’éditeur peuvent donner leur avis définitif.
L’éditeur va parcourir notre lettre et synopsis. Puis, il va ouvrir le manuscrit, lire la première page et si cela lui semble prometteur, il lira la suite, jusqu'à se faire un avis définitif. Il peut également demander un second avis au directeur éditorial ou au comité. On comprend mieux, dès lors, que les délais de réponses soient si longs.
Pourquoi nos textes ne sont pas lus en intégralité ? Par manque de temps, tout d’abord, mais aussi parce que la majorité des manuscrits reçus ne rentre tout simplement pas dans la ligne éditoriale, ou ne sont pas assez aboutie.
Les personnes qui étudient votre manuscrit se basent sur plusieurs critères :
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La correspondance à la ligne éditoriale
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La qualité du manuscrit (oui, quand même)
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Son potentiel commercial (vendre reste l’objectif)
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Sa place au sein du catalogue
En cas de réponses négatives
Statistiquement, entre les refus types et les non-réponses, votre manuscrit sera forcément refusé à un moment où à un autre.
La première chose est donc de vous préparer psychologiquement pour encaisser ces refus.
La seconde est de vous dire que cela ira mieux avec le temps. Ce genre de remarque énerve, et pourtant… Le premier refus sera plus rude que le dixième. Et, au fil des projets, des soumissions, des expériences, vous parviendrez à mieux les encaisser.
La troisième chose, et la plus importante, est de vous rappeler que le refus concerne uniquement votre manuscrit, il ne vous concerne pas vous en tant qu’individu. Ce n’est pas « vous » qui êtes rejeté, c’est seulement votre travail qui est écarté.
Si vous avez eu la chance d’avoir des retours personnalisés, vous pouvez envisager de retravailler votre texte et sinon, rien ne vous empêche de commencer un nouveau projet. Je vous le conseille même, pour prendre un peu de recul et ne pas rester dans l’attente.
En cas de réponses positives
Savourez, déjà, car cette étape n’est pas si fréquente.
Ensuite, revenez au début de cet article. Et assurez-vous que la maison est bien à compte d’éditeur, propose un travail éditorial professionnel, une rémunération correcte de ses auteurs, et est correctement diffusée.
Avant de vous engager, et de céder vos droits, je vous recommande fortement de discuter avec votre éditeur ou éditrice de vive voix. Au mieux, au sein de sa structure, au pire, par téléphone. Pour réussir le premier contact avec un éditeur, ne vous emportez pas et n’ayez pas l’air trop enthousiaste, il faut donner une image professionnelle.
Quelques astuces :
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Préparez vos questions : rémunération, fonctionnement de la structure, travail éditorial envisagé, présence en libraire ?
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Ne négociez rien de façon orale, il est toujours bon de garder une trace écrite
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De même, ne signez pas tout de suite, prenez le temps d’étudier à tête reposée le contrat d’édition. Un contrat d’édition est toujours négociable, même en tant que primo auteur. Par défaut, un éditeur vous proposera le contrat le plus arrangeant pour lui. Mais s’il est honnête et qualifié, il restera ouvert à la négociation.
Il est important, autant pour le respect du métier d’auteur que pour votre carrière en devenir, de montrer que vous êtes au courant de vos droits et pas prêt à signer n’importe quoi.
Vous pouvez vous faire aider par des associations et syndicats tels que La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse ou encore la Ligue des Écrivains Professionnels qui pourront répondre à vos questions.
Et pour finir, rappelez-vous que tant que rien n’est signé (contractuellement parlant) l’éditeur n’a aucun engagement envers vous (et vice versa).
Une fois le contrat signé, peut alors commencer le travail éditorial, afin de préparer la publication de votre manuscrit et le rendre le plus aboutit possible. Mais ça, c’est encore une autre étape.
CONCLUSION
Pour conclure en lien avec le thème de ce webzine, rappelez-vous que vous êtes légitimes. Légitime en tant qu’auteur. Et que, de ce fait, il est juste que vous aspiriez à la reconnaissance de votre travail. Lorsqu’on débute, on craint de négocier, d’être trop difficile, de louper des occasions, de faire des bêtises. La vraie bêtise, c’est de s’engager avec des éditeurs qui n’ont ni l’étoffe ni les capacités pour défendre votre texte. Croyez-moi, il vaut mieux un livre pas édité que mal édité dont vous ne serez pas fier.
Sources :
Bibliographie :
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BESSARD-BANQUY, Olivier. L’industrie des lettres. Paris : Pocket, coll. « Agora », 2012, 544 p.
Cours et masterclass :
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Droit de l’édition, par madame Clarisse Barthe-Gay, Master EIN, Université Toulouse 2 Jean-Jaurès
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ÊTRE BIEN ÉDITÉ : comment lancer une carrière d’auteur sereine et éclairée, Masterclass de Cécile Duquenne et Audrey Alwett
Associations et syndicat :
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La charte des auteurs et illustrateurs jeunesse (Association créée en 1975 dont l'objectif est de défendre les droits des auteurs et illustrateurs jeunesses et de valoriser la littérature jeunesse ; https://la-charte.fr)
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La ligue des auteurs professionnels (Syndicat d’auteurs et d’autrices du livre fondé en 2018. Tous se liguent pour sauvegarder leur métier et améliorer les conditions de création de tous les créateurs et créatrices. ; https://ligue.auteurs.pro)
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