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La création d'univers

Lyon, 30 juin 2018

 

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Après avoir fait le plein de boissons fraîches pour cette journée qui s’annonçait estivale, direction le Parc de la Tête d’Or pour retrouver nos participant.e.s, douze au total. Une fois (presque) tous réunis dans l’herbe, à l’ombre des arbres (mais à faible distance d’importuns garnements), et les présentations effectuées, il était temps de commencer cette table ronde sur le thème de la création d’univers.

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Dans un premier temps, nous avons convenu que le thème incluait la création d’un univers de fiction (tel qu’on en trouve en fantasy ou en science-fiction, par exemple), mais également la toile de fond d’un roman et son ambiance générale. À ce titre, il a été établi que certains genres nécessitent une attention plus particulière (encore une fois, fantasy, SF, mais aussi les romans historiques). À l’inverse, l’univers des genres plus « contemporains » s’appuie davantage sur le ton utilisé et les nuances qui l’ancrent dans une dimension réaliste que le lecteur reconnaîtra.

 

Parmi les éléments qui ont été jugés indispensables à la création d’un univers, ont été cités l’environnement (paysages, architecture, etc.), mais aussi les relations interpersonnelles (passif entre personnages, influence, etc.), ainsi que les détails et le relief (utilisés avec parcimonie et à bon escient, c'est-à-dire au service de l’histoire) pour peindre l’univers par petites touches. En résumé, le mot d’ordre est la COULEUR !

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Concernant les éléments qui sont jugés trop redondants, on trouve les problèmes de créatures de fantasy : soient trop communes (elfes, nains…), soit des créatures existantes (ou fortement similaires) auxquelles on se contente d’attribuer des noms alambiqués pour donner l’illusion de créativité. D’ailleurs, le name-dropping est également revenu à plusieurs reprises dans les critiques. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le terme, il s’agit d’une avalanche de noms compliqués sous lequel on enterre le lecteur qui n’a pas le temps de les assimiler. Cela rejoint également les prologues qui exposent une description historico-géographico-ethnique d’un univers de manière grossière et maladroite. Encore une fois : parcimonie et couleur sont jugés comme les éléments fondamentaux pour pallier ce type de lourdeurs. Quant aux clichés, les participant.e.s se sont accordé.e.s pour dire qu’ils ne sont pas fondamentalement mauvais : ils peuvent d’une part rassurer les lecteurs.ices, et d’autres parts permettre des raccourcis lors de l’exposition de l’univers lorsque celui-ci sert davantage de toile de fond pour pouvoir démarrer l’intrigue.

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Du point de vue de la narration, il est également possible de trouver des éléments qui participent à la création (ainsi que la qualité) de l’univers. Le point de vue, par exemple, est crucial : un roman policier n’aura pas la même ambiance s’il est raconté du point de vue omniscient, du point de vue d’un officier de l’ordre ou d’un criminel. Le découpage du roman peut également participer à construire un univers lorsque la forme et le fond se rejoignent. Il est donc important de ne pas les négliger !

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La majorité s’est accordée pour dire que le monde réel est une bonne source d’inspiration pour insuffler du réalisme à son univers, et si certains ont effectué des recherches préalables, très peu ont eu recours à des fiches d’aide que l’on trouverait sur internet. À cela, la plupart préfèrent les bons vieux forums et autres chatbox pour brainstormer directement avec d’autres auteurs.rices. Néanmoins, le réalisme est loin de faire l’unanimité (du moins dans les genres qui ne l’imposent pas nécessairement : il est évident que le réalisme est à privilégier sur un roman historique, par exemple). En effet, beaucoup considèrent qu’un.e auteur.rice peut insérer des éléments non-réalistes à condition qu’il y ait une logique (par exemple cause/effet) entre les différents éléments. Ainsi, le point crucial est la cohérence au sein de l’univers.

Cela rejoint un autre point : en tant qu’auteur.rice ou lecteur.ice, rien n’empêche d’accorder une place à la « suspension consentie de l’incrédulité. » Concept développé par le poète et critique Samuel Taylor Coleridge en 1817, il s’agit de l’accord tacite qui pousse le.a lecteur.rice qui ouvre une œuvre de fiction à laisser de côté son scepticisme et accepter certains éléments comme postulat de base (p. ex. dans Dracula, que les vampires existent, dans Alice au Pays des Merveilles, que les animaux parlent…). Encore une fois, il ne faut pas en abuser et surtout, se tenir à ce qui est posé comme acquis, donc : RESTER COHÉRENT.

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D’ailleurs, puisqu’on parle lecteurs.rices, les participants.es estiment qu’iels ne rentrent pas dans le processus de création d’univers. Leurs retours et impressions sont en revanche capitaux lorsque l’on amorce une réécriture, par exemple. Quant au public cible, il ne rentre en compte que lorsque l’édition devient un projet concret avant de cibler l’éditeur (et peut-être même la collection) approprié : avant cela, les auteurs.rices ne se laissent pas influencer par l’âge que pourrait avoir leur lectorat.

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Qu’en est-il de la relation avec les autres auteurs.rices, alors ? L’idée générale reste qu’il est souvent positif d’échanger avec d’autres personnes qui écrivent, éditées ou non, de tous âges et écrivant des genres potentiellement différents des nôtres. Ce genre d’échange permet d’approcher son histoire sous un autre angle et peut-être même son approche à l’écriture. Le danger, en revanche, est de se comparer à ces auteurs.rices (volontairement ou non) et d’en arriver à douter de son propre talent : c’est ce que l’on appelle communément le syndrome de l’imposteur. En d’autres termes, il s’agit de se dire « oh non ! À côté de Machin, j’écris vraiment comme un pied ! Je n’ai aucun talent littéraire, autant arrêter d’écrire dès maintenant. » Well, nope. Ces échanges ne doivent pas être un frein, mais bien un apport constructif : si tout auteur.rice doit se remettre en question pour progresser, il faut aussi savoir faire la part des choses !

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Parmi les auteurs dont les univers ont marqué nos participant.e.s (avec, si citée, l’œuvre en question entre parenthèses), on retrouve Alain Damasio (La Horde du Contrevent), Pierre Bottero (La Quête d’Ewilan), Robin Hobb (L’Assassin royal), Agatha Christie (Hercule Poirot), Roald Dahl, Aragon, Baudelaire, Boris Vian, Daniel Pennac (les Malaussène), Stephen King, J. K. Rowling (Harry Potter), J. R. R. Tolkien (Le Seigneur des Anneaux), Terry Pratchett, Larry McMurtry (Lonesome Dove) et bien d’autres que je ne peux malheureusement pas entièrement citer !

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Justement, ces auteur.rices nous ont amené.e.s à réfléchir à la manière de se renouveler et de réussir à créer de nouveaux univers. Certains exemples, tels que J. K. Rowling (Harry Potter vs. Une Place à prendre), Agatha Christie (Hercule Poirot vs. Miss Marple) ou encore Stephen King (Simetierre vs. Dôme), ont démontré que des écrivain.e.s de renom qui ont réussi à nous happer et à nous faire rêver et voyager avec leurs univers, ne nous ont pas nécessairement convaincus dans d’autres œuvres. Malgré le changement de genre, qui peut dérouter le lecteur.rice comme manquer de maîtrise pour l’auteur.rice, on note surtout que ce genre de déception provient d’un manque de couleur, ou simplement de l’effacement/absence de la patte de l’auteur.rice qui nous avait séduit.e auparavant.

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Pour terminer, nous nous sommes penchés sur la notion d’univers au sens encore plus large. Même si les participant.e.s ont estimé que les forums, conventions, fanfictions, fanarts et autres produits dérivés ne faisaient pas partie intégrante de l’univers à proprement parler, tous contribuent à le faire vivre. D’ailleurs, nombre d’entre eux ont déjà écrit une fanfiction en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un genre créé par des fans, pour des fans. Tout l’attrait est donc dans la volonté de faire perdurer un univers particulièrement marquant, tout en restant fidèle à l’esprit de l’œuvre. D’ailleurs, beaucoup estiment qu’un univers réussi est souvent suffisamment riche pour pouvoir être exploité davantage, mais que certaines œuvres tendent à tirer sur la corde. Outre le cas particulier des séries télé (Supernatural largement en tête des suffrages) ainsi que des mangas, certaines sagas littéraires ont ainsi fini par perdre nos participant.e.s en cours de route. C’est le cas par exemple des Chevaliers d’Émeraude d’Anne Robillard, de Tara Duncan de Sophie Audoin-Mamikonian, ou encore d’Artemis Fowl, de Eoin Cofler. Le principal reproche fait à ces sagas est de ne pas avoir su se réinventer, ou bien de l’avoir fait au détriment de l’esprit des premiers tomes.

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Puisque nous en sommes à la déception, nous nous sommes également demandé si un univers réussi pouvait sauver une œuvre dont, par exemple, les personnages seraient ratés ou l’intrigue banale. La réponse a été un NON ferme. Au contraire, si l’univers est réussi, nos participant.e.s se sentent d’autant plus déçu.e.s et frustré.e.s qu’il y avait matière à créer une œuvre qui fonctionne. L’univers est donc important, mais pas suffisamment pour sacrifier le reste. Tout est donc une question d’équilibre.

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Enfin, certain.e.s d’entre nous ont déjà illustré/fait illustrer leurs romans ou cartographier leur monde, afin d’étendre leur univers et d’y voyager à travers d’autres médiums. En revanche, pour ce qui est des illustrations, la plupart les voit comme quelque chose de personnel, au sens où elles correspondent à l’idée qu’iels se font de leurs personnages/univers/etc., et ne chercheraient en aucun cas à imposer une vision particulière à leur lecteurs.rices. Après tout, chacun possède sa couleur et l’utilise à sa manière !

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Après ces quatre petites heures bien trop vite écoulées, certain.e.s en ont profité pour arpenter les sentiers du Parc avant de se retrouver tous ensemble autour de flammenkueches dûment méritées. Opération rédemption à peu près réussie : cinq ans et demi après s’y être retrouvés tant bien que mal lors de la création de l’association, tout le monde est reparti avec l’estomac plein et le sourire aux lèvres. Il était déjà grand temps pour la plupart de revenir à la réalité, tandis que les quelques intrépides restants prolongeaient la soirée autour d’un dernier verre, avant de se séparer pour de bon… en songeant déjà à la prochaine table ronde !

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Aleksey

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Merci aux participants ainsi qu'à Aleksey pour l'organisation de cette table ronde et ce compte-rendu fourni !

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