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MJ. Derrière cet acronyme banal se cache une réalité toute autre. Déjà, il peut avoir plusieurs significations. Maître du Jeu, ou Meneur de Jeu, selon les envies. Historiquement, il était même appelé MD – Maître du Donjon – dans l’un des tous premiers jeux de rôle, Donjons et Dragons. Il existe aujourd’hui des centaines de jeux de rôle, et chacun donne son interprétation du MJ. Certains lui donnent même un nom particulier : « Absolute judge », « Crétin », « Gardien des arcanes », « Narrateur »... Des millions de joueurs se regroupent dans des centaines de milliers de scénarios, interprétés par des milliers de Meneur de Jeu. Autant dire qu’il peut exister des milliards de parties de jeu de rôle, et que chacune possède sa propre interprétation de ce qu’est un bon MJ. Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’un Maître du Jeu ?
Le guide du MJ
par nameless
En jeu de rôle classique, un MJ est l’équivalent d’un hôte. C’est lui qui accueille les joueurs et leurs personnages dans un système qui comprend a minima des règles de jeu et un univers. Comme tout hôte, il prendra soin de ses invités, écoutera leurs désirs tout en gérant efficacement le bon déroulement de la partie – timing, scénario, adversités, buts et limites… En cas de litige, il sera amené à trancher selon son bon vouloir. Pouvoir absolu ? Effectivement. Il n’en reste pas moins qu’un Maître du Jeu doit respecter les libertés des joueurs et de leurs personnages. N’oublions pas qu’il s’agit d’un jeu, d’un divertissement, et que les joueurs sont là pour s’amuser et se faire plaisir au même titre que le MJ. Bien qu’il représente l’autorité ultime, le Meneur de Jeu est aussi au service de ses joueurs. Son but est de les amuser. Il s’agit d’un contrat social dans lequel les joueurs s’engagent à respecter les règles et l’univers, alors que le MJ promet de leur faire plaisir en leur faisant vivre une belle partie. Comment bien commencer ? Parlons tout d’abord de l’intention du MJ.
L’intention
Il semble important que le MJ communique sur ses intentions. Il se doit de prévenir le joueur de ce qui l’attend. Pour éviter toute mauvaise surprise, il est préférable d’au mieux préciser l’univers, l’orientation des règles du jeu, la « couleur » et éventuellement la trame principale qu’il souhaite donner à sa partie.
Prenons quelques exemples. Martin Jeunet veut masteriser – créer une partie de jeu de rôle – dans un univers médiéval fantastique. Il devrait préciser s’il s’agit d’un univers sombre et obscur comme Warhammer, ou au contraire loufoque et déjanté comme Naheulbeuk. Quant à Michel Juin, il désire masteriser dans l’univers Star Wars. Il souhaite interroger ses joueurs sur la notion de bien et de mal, mais le fera-t-il à travers la vision manichéenne des Jedi, ou de pauvres contrebandiers obligés d’accomplir les basses besognes pour survivre ? Pour finir, Marine Jouette demande à ses joueurs d’incarner des personnages vikings, mais elle hésite à faire une épopée épique qui changera le monde, ou au contraire une histoire bien plus terre à terre dans laquelle les personnages doivent sauver leur petit village confronté à un hiver particulièrement rude. En parler avec ses joueurs et prendre une décision en fonction de leurs envies serait une excellente solution pour que tout le monde apprécie la partie.
Il existe toute sorte d’intentions, des plus basiques aux plus profondes, mais il semble important que le Maître du Jeu ait une idée claire des siennes, qu’il se pose réellement la question de pourquoi il souhaite faire jouer ce scénario, dans cet univers, avec ces règles. Plus ses intentions – à ne pas confondre avec sa campagne et ses scénarios, nous parlons ici des grandes lignes qui vont structurer le jeu – seront définies et claires pour lui, plus il pourra immerger ses joueurs et leurs personnages dans ses parties et leur faire partager ses envies et sa vision. Néanmoins, rassurez-vous, la plupart des jeux de rôle proposent des intentions, plus ou moins inscrites dans leurs gènes. Les univers et les règles sont orientés pour faire vivre tel ou tel type de partie. Libre au MJ d’utiliser ces intentions telles quelles ou de les détourner, mais quoi qu’il en soit, il est préférable de communiquer là-dessus avec ses joueurs.
La communication et l’écoute
Bien qu’il soit le premier interprète de son scénario, le MJ n’en est pas le seul. Il vaudrait mieux qu’il discute avec ses joueurs, et prenne en compte leurs retours et leurs avis, afin d’améliorer la partie et les suivantes. Les débriefings de fin de partie sont très importants pour recueillir les impressions des joueurs mais également, pour le MJ, pour préciser certaines de ses intentions.
Si le MJ peut être comparé à un dictateur absolu, n’oublions pas qu’« un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Il est en majeure partie responsable du plaisir de ses joueurs. S’il rejette en bloc les idées ou désirs des joueurs comme des personnages, ceux-ci seront frustrés ou déçus en fin de partie. C’est là que le MJ va devoir faire preuve de finesse et d’équilibre. Qu’est-ce que ses joueurs attendent de la partie ? Souhaitent-ils être menés à travers une belle histoire et un univers, de manière plutôt dirigiste, ou bien veulent-ils être lâchés dans un univers complètement ouvert et prendre toutes les décisions importantes par eux-mêmes ? Le MJ a la lourde tâche de faire le tri, avant, pendant et après la partie, de ce que ses joueurs ont apprécié ou pas. Pire encore, il va devoir équilibrer les désirs de tout un chacun, pour que tout le monde soit heureux du déroulement de la partie.
Prenons un exemple : imaginons qu’en pleine partie de Warhammer, alors que le groupe se prépare à quitter la taverne, le semi-elfe de Pierre Jilliet veuille draguer la serveuse. Il s’agit d’une scène totalement improvisée, qui ne figure pas dans le scénario de Martin Jeunet. En tant que MJ tout-puissant, il peut l’en empêcher, en créant un malabar qui menace de casser la gueule du semi-elfe, ou tout bonnement en faisant sortir la serveuse. Le problème sera que le joueur sera frustré de n’avoir pas pu faire ce qu’il souhaitait. Martin peut donc accepter la scène et improviser la serveuse, que cela soit en roleplay ou par le biais de jets de dés. Hélas, au bout de dix minutes, Pierre commence à fatiguer tout le monde avec sa scène qui traine en longueur. Deux joueuses griffonnent sur leur feuille, tandis qu’un troisième suit les bulles qui remontent dans sa bière. Martin devra, d’une façon ou d’une autre, mettre fin à la scène, par exemple en faisant intervenir l’un des personnages des joueurs qui s’ennuient. On a là un MJ qui est à l’écoute de ses joueurs, individuellement, mais aussi à l’échelle du groupe. Si Pierre arrive à obtenir des informations utiles par le biais de la serveuse, tous les joueurs seront contents de cette scène, pourtant improvisée. Hélas, Martin lui-même se sent un peu frustré, car il avait prévu une scène sensationnelle où une vieille acariâtre donnait ces informations-là aux personnages, et il peut maintenant l’amputer de son scénario.
L’adaptabilité
Dans l’absolu, un MJ doit pouvoir faire face à n’importe quelle situation. En réalité, c’est impossible. Avant de s’investir corps et âme dans un scénario, un Meneur de Jeu doit garder à l’esprit que les joueurs, même s’il les connait très bien, ne réfléchiront pas de la même façon que lui. Ils pourront laisser de côté des détails importants, ou au contraire imaginer quelque chose que le MJ n’avait pas anticipé. Et utiliser son autorité suprême trop régulièrement coupera bien souvent l’immersion et frustrera les joueurs. Le MJ doit donc savoir s’adapter, et parfois accepter qu’une partie de sa préparation se révèle au final inutile. L’astuce pour s’économiser du temps de préparation est de peaufiner en particulier le début du scénario. Les premières minutes d’un jeu de rôle sont importantes, et immerger les joueurs dans leurs personnages et dans un univers crédible et cohérent aidera beaucoup pour la suite. De même, il s’agit de la seule scène qui n’aura pas subi l’influence des joueurs. En gérant parfaitement ses effets lors de cette scène, le MJ peut emmener les joueurs dans la direction qu’il désire. Néanmoins, à trop figer les scènes suivantes, il bridera la plupart des joueurs, et leur plaisir en sera réduit d’autant.
Michel Juin, par exemple, veut que ses Jedi affrontent un Sith. Au début de la partie, le Conseil leur a demandé d’aller sur le lieu d’un meurtre particulièrement horrible. Arrivés sur place, ils ont suivi des traces de sang dans un égout étroit et rectiligne qui débouche dans une cave d’immeuble désaffecté. La nuit est tombée et ils voient qu’une seule fenêtre semble allumée. Comme ils ont appris que seuls les Siths mutilent ainsi leurs victimes, ils hésitent à attaquer de front un si puissant personnage. Ils décident de tendre un piège à l’aide d’explosifs et de faire s’écrouler l’immeuble. Mais Michel a prévu un discours pompeux pour le Sith, aussi annonce-t-il que les Jedi ne peuvent trouver d’explosifs. Lorsqu’on lui propose d’autres solutions, il les rejette également toutes en bloc. La frustration peut alors commencer à gagner les joueurs, et entacher leur plaisir de jouer.
Alors que Marine Jouette préfère annoncer à ses joueurs que la famine guette leur village viking. Pour faire face à cette situation, elle a prévu trois situations. Les joueurs peuvent piller un village voisin avec une séance d’approche furtive puis un éventuel combat. Ils peuvent s’embarquer pour un raid, avec une scène de navigation puis un combat. Ou alors, un comptoir éloigné pourrait les aider, au travers d’une séance de navigation puis de commerce. Mais un joueur propose de jouer les naufrageurs, d’allumer de faux phares pour attirer les navires et les piller. Marine accepte, et après une séance de préparation, offre la phase de combat qu’elle avait préparée pour le raid en changeant quelques menus détails. Les personnages sont heureux d’avoir réussi leur mission, mais le village vers lequel le navire se dirigeait mène une expédition punitive, et Marine offre une nouvelle scène de combat à ses joueurs. À la fin de la partie, les joueurs peuvent se sentir heureux d’avoir résolu leur problème à leur façon, et Marine contente d’avoir aussi bien géré son improvisation.
La création de groupes génériques, différenciés par des détails, est une technique largement usitée. Le MJ ne doit pas hésiter à réutiliser des PNJs, groupes ou situations qui ont été mis de côté par le déroulement du scénario. En s’adaptant en permanence, il se créera au fur et à mesure une bibliothèque de scènes et de situations, tout en améliorant sa capacité d’improvisation.
Pour finir, il ne faut pas oublier que le Meneur de Jeu doit également s’adapter à ses joueurs. Les parties sont énormément influencées par le groupe de joueurs, et ils n’ont pas tous les mêmes attentes. Si le Maître du Jeu est habitué à certains joueurs, en changer peut parfois amener des difficultés. Leurs attentes, envies ou sensibilités peuvent être bien différentes, et s’il est agréable qu’ils se conforment à la vision du MJ, ce dernier aurait tout intérêt à s’adapter à leurs envies afin de réaliser des scénarios agréables à tous.
L’immersion et la fluidité
Néanmoins, la préparation du MJ reste importante. Même si le scénario peut être très flou voire inexistant, il est préférable qu’il connaisse au moins ses règles en profondeur, afin de privilégier la fluidité de sa partie. De même, connaître et préparer un minimum son univers reste crucial. Un jeu de rôle est une plongée dans un univers différent, dans une histoire vivante et mouvante. Qu’il s’agisse d’action, de politique, d’intrigue, de romance, de fuite, d’enquête, il semble décevant de juste lancer les dés de façon totalement déconnectée et mécanique. L’immersion est pour beaucoup dans la réussite d’une partie de jeu de rôle. Si les joueurs ont vibré avec leurs personnages, craint pour leurs vies, applaudi lors d’actions d’éclats, transpiré lors des scènes de tension, ri de leurs méprises, on peut penser qu’ils auront apprécié leur partie. Il est également nécessaire que la narration se fasse de manière non-heurtée, que le MJ ne bute pas sur chaque point de règle ou ne perde pas de temps à retrouver telle page ou telle feuille. La fluidité de l’aventure améliorera beaucoup l’immersion.
Il existe néanmoins des milliers de façons d’immerger les joueurs dans l’univers, et chaque MJ se doit de trouver la sienne. Cela peut certes prendre beaucoup de temps en amont, mais c’est très certainement parce qu’il s’agit là du point le plus important. Trouver la bonne musique, les bons bruitages ; faire de courtes et efficaces descriptions ; s’appuyer sur les sens et les impressions ; égayer le paysage de scénettes entre PNJ, lui donner du relief et de la vie ; dessiner tel Personnage Non Joueur, tel panorama, fabriquer tel artefact ; jouer sur l’ambiance et les éclairages de la pièce de jeu… La liste est loin d’être exhaustive, et le MJ peut explorer les pistes qu’il souhaite, pouvant même aller jusqu’à intercaler des séances de roleplay Grandeur Nature – où les joueurs interprètent physiquement leurs personnages – au sein de son scénario.
Prenons des exemples concrets avec nos trois MJ préférés. Martin Jeunet, qui masterise du médiéval fantastique, a un bon coup de crayon. Il illustre la plupart de ses lieux et personnages importants avec des petits dessins à l’encre auxquels il donne une atmosphère particulière, souvent sombre pour coller avec sa vision de l’univers de Warhammer. Michel Juin a à sa portée pléthore de supports pour immerger dans un univers Star Wars. Il fait de courtes descriptions, appuyées par de nombreuses photos des différents droïdes, vaisseaux et extraterrestres que croisent les personnages. Enfin, Marine Jouette aime bercer ses joueurs vikings de musiques immersives d’ambiance, au tempo rapide lors de scènes d’actions, et plus lentes lors des repos. De plus, son talent pour interpréter différentes voix et différents accents apporte une touche particulière à chacun de ses personnages, tantôt cocasse, effrayante ou rassurante.
Il peut parfois être compliqué de garder ses joueurs dans son univers, surtout lorsque les parties durent plusieurs heures. Le MJ ne devrait pas hésiter à décider de pauses lorsque l’attention se relâche, quitte à stopper juste après un cliffhanger pour relancer l’intérêt pour la suite de la partie. Après une coupure qui a permis de se détendre, se sustenter et répondre aux besoins naturels, la partie peut reprendre son cours, et l’attention sera à nouveau focalisée sur l’objectif.
Pour conclure, il n’est pas facile d’être un bon MJ, et cela ne dépend pas que du Maître du Jeu, mais aussi des joueurs et du jeu de rôle. Cela demande beaucoup de temps et d’implication, au moins au début. Plus il prendra de l’expérience, plus le MJ aura l’assurance et les connaissances pour gérer au mieux le déroulement de ses parties, amenant fluidité, immersion et cohérence à ses parties. S’il reste à l’écoute des joueurs et les informe de ses intentions, alors chacun devrait prendre du plaisir à jouer. Le jeu de rôle est avant tout une activité ludique et sociale, et chacun peut l’interpréter à sa façon. Cet article n’a pour but que de donner des pistes aux Meneurs de Jeu, et de leur faire explorer leur rôle de MJ tout comme ils font explorer leurs univers à leurs joueurs et leurs personnages.
nameless

Sources
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les podcasts de lacellule.net
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le GROG – Guide du ROliste Galactique – legrog.org
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le site de la FFJDR : ffjdr.org
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le jeu de rôle et les addendums Aux confins de l’Empire