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Le genre fantastique, miroir des valeurs et des idées de leurs auteurs,

par Mégane Forestier

Harry Potter ne peut être réel, et pourtant, nous avons tous pleuré lorsque nous l’avons cru mort. Nous avons tous reconnu quelque chose qui était propre à notre environnement, notre culture. Nous avons réfléchi au sens caché de la quête de Frodon et pris avec nous sa souffrance. Nous avons pu être en colère lorsque Bella décida de garder l’enfant qu’elle portait car nous pensions qu’il allait la détruire. Comment se fait-il que de telles histoires merveilleuses font écho dans notre esprit ? Comment de telles fictions peuvent-elles faire réfléchir des millions de personnes sur des questions aussi importantes que la tolérance, l’environnement, la place de la technologie et même l’avortement ? Le fantastique aurait-il remplacé la philosophie lorsqu’il s’agit d’enseigner aux nouvelles générations l’éthique et la morale ?

Quand la suspension d’incrédulité est à son paroxysme

L’irrationnel rencontre le rationnel

 

À l’origine de toute fiction se trouve un contrat (tacite) signé entre l’auteur et ses lecteurs. Les professionnels de la littérature connaissent ce contrat sous le nom de « suspension d’incrédulité ». Pour faire simple, le lecteur accepte, le temps de sa lecture, que ce qu’il voit ne soit pas réel. Il est d’accord avec le fait que la magie existe et que les sorciers viennent à Poudlard pour apprendre à contrôler leurs pouvoirs. Mais ce contrat va encore plus loin. Il s’agit, comme nous l’explique Samuel Taylor, de transposer, de remplacer notre réalité par un univers fantastique :

 

« L’accord fut que je porterai mes efforts en direction des personnes et caractères surnaturels ou du moins romantiques ; le but étant de puiser au fond de notre nature intime une humanité aussi bien qu'une vraisemblance que nous transférerions à ces créatures de l'imagination, de qualité suffisante pour frapper de suspension, ponctuellement et délibérément, l'incrédulité, ce qui est le propre de la foi poétique. »[1]

 

Pour ce poète britannique, tout lecteur se doit de trouver un lien entre ce qu’il lit et son monde contemporain. Le travail d’un bon auteur est de permettre à ses lecteurs d’opérer cette similitude. Mais comment y parvient-il ?

 

S’identifier au monde qui nous entoure

 

Si vous analysez avec attention toute œuvre fantastique qui tienne la route, vous remarquerez que les univers qui y sont décrits ont de fortes ressemblances avec le nôtre. Regardons l’univers de Harry Potter par exemple. Il reproduit toutes les administrations publiques et privées que notre monde contemporain connaît : un ministère, une école, des banques, des journaux, des commerces, des restaurants et auberges. Seule la magie et les quelques créatures étranges qui peuplent ce monde permettent de dire qu’il est différent du nôtre. En mettant en avant ces services et ces différents systèmes de gestion, J. K. Rowling nous permet de transposer cet univers magique à notre monde connu.

 

Même ses créatures trouvent leurs échos dans notre siècle : les gobelins malins et cupides font penser à nos banquiers, les centaures majestueux et intelligents à nos chevaux et les dragons tant attachés à un lieu à nos chiens de garde. Si ce monde merveilleux nous paraît si familier, c’est bien parce que son auteure a su y mettre un peu du sien.

On ne peut écrire que ce que l’on connaît

 

La culture, à l’origine de toute métaphore fantastique

 

Néanmoins, pour que la suspension d’incrédulité opère sa magie, encore faut-il appartenir à la même culture que son auteur. Car le monde que transpose J. K. Rowling est bien celui d’une culture occidentale. Tout comme l’univers de Tolkien est celui d’un chrétien connaissant les livres sacrés de la foi sur le bout des doigts. Si le fait que ce grand écrivain était chrétien n’a jamais été un secret, l’analyse de son œuvre sous cet angle est presque passée inaperçue. Pourtant, l’analyse du prêtre Philippe Verdin dans Mon Précieux nous montre combien la culture chrétienne a inspiré Tolkien lorsqu’il a conçu ses personnages et les trames de ses récits. Dans une lettre adressée à son fils Christropher, il écrit :

 

« Le Seigneur des Anneaux est une œuvre fondamentalement religieuse et catholique ; de manière inconsciente dans un premier temps, puis de manière consciente lorsque je l’ai retravaillée ».

 

Car Tolkien a toujours eu une éducation chrétienne et pratiquera sa religion avec foi et conservatisme. Pour autant, son œuvre ne transpose pas sa foi de manière directe. C’est en empruntant de nombreux détours qu’il nous montre la figure du Christ ressuscitée, celle du Mal ou encore de la victoire de la vertu[2].

 

Cette éducation qui nous trahit tant

 

Si la culture forge une partie des œuvres de leurs auteurs de manière indirecte, l’environnement et l’éducation font le reste du travail. Stephenie Meyer, auteur de la saga Fascination (plus connue sous le nom Twilight) est en effet engagée. Elle est mormone et a été éduquée avec cette foi. Elle a en effet eu son diplôme de littérature anglaise au sein d’une université mormone. Il est donc logique que ses valeurs transparaissent dans son œuvre : Edward sauve son âme et celle de sa dulcinée en refusant de faire l’amour avant le mariage, Bella refuse d’avorter malgré sa santé déclinante et est même prête à se sacrifier pour que le bébé puisse vivre. Ces choix mettent en avant la pensée de Stephenie Meyer et sa volonté de les faire passer pour des actions vertueuses. Car la littérature a, depuis toujours, transmis des valeurs. Le fantastique ne fait que les cacher sous des métaphores plus ou moins fines.

 

Quand les auteurs nous invitent dans leur tête

 

La métaphore (pas si bien) cachée de Harry Potter

 

L’univers de J. K. Rowling a fait couler beaucoup d’encre, même parmi les chercheurs et universitaires. Car ce monde continue de fasciner des millions d’enfants (et d’adultes, ne nous voilons pas la face !). Pourquoi ? Peut-être est-ce parce qu’il s’agit ni plus ni moins d’une métaphore du nazisme. L’auteure elle-même l’avoue aux journalistes qui l’ont interviewée :

 

« Eh bien, c’est une métaphore politique, mais à aucun moment je ne me suis dit que je voulais recréer l’Allemagne nazie dans le monde des sorciers. En fait, même si j’ai volontairement évoqué l’Allemagne nazie, il y existe aussi d’autres associations aux situations politiques différentes. Je ne peux donc pas en isoler une seule en particulier.[3] »

 

Comprenez-vous où se situe la métaphore ? Les Mangemorts sont les nazis qui souhaitent que les sorciers (la race supérieure) gouvernent le monde. Ils traquent les moldus et sang-mêlés (les juifs et tous les peuples qui ne possèdent pas suffisamment de sang pur) pour les anéantir. Mais qui est Hitler ? Voldemort ? Ou Grindenwald ? Le débat reste ouvert sur la question. Quoi qu’il en soit, la volonté de J. K. Rowling n’a pas été de faire une apologie du nazisme, mais bien de démontrer que ce système de pensées était malveillant. Plus que tout, en nous offrant un héros comme Harry Potter (un résistant au nazisme), prêt à se sacrifier pour sauver le monde, elle offre de l’espoir face au totalitarisme.

 

Si son œuvre offre une métaphore d’un autre temps (pas si lointain que cela), elle permet à des générations de ne pas oublier les affres de la dictature et les ouvre à une grande tolérance vis-à-vis de la différence.

 

Maxime Chattam, le maître qui refuse la technologie

 

En France aussi, nous avons notre héros des temps modernes ! L’auteur Maxime Chattam, d’abord connu pour ses thrillers proches du genre horreur, s’est mis au fantastique et à la fantasy. Au travers de sa saga Autre Monde, il semble vouloir dénoncer les dérives de la technologie et plus particulièrement des réseaux sociaux. Dans son univers, une brusque tempête frappe la planète. Les seuls survivants sont les enfants. Les adultes, quant à eux, ont perdu la mémoire et emprisonnent leurs progénitures, puis les réduisent en esclavage. Les héros de cette histoire vont découvrir petit à petit quel mal est à l’origine de cette tempête : Gggl… Vous reconnaissez son nom ? Oui, notre cher ami Google est le mal incarné pour Maxime Chattam. Qui peut sauver le monde ? Des enfants marginaux qui ont refusé le joug des réseaux sociaux. Une enfant particulièrement, Ambre, sauvera le monde en aspirant le pouvoir de la Terre. La Nature combat Internet.

 

L’auteur confirmera ces valeurs en écrivant un nouveau roman, Le Signal. Ici, des fantômes tuent les habitants d’une pauvre ville en passant par… une centrale électrique et les relais téléphoniques. C’est parce que le gouvernement a essayé de contrôler ce phénomène que les habitants de Mahingan Falls sont torturés par des esprits. Et parmi le chaos, c’est un écrivain et un enfant qui parviennent à résoudre le mystère et à sauver la ville. Mais à quel prix ?

 

Tous ces exemples nous montrent que la littérature fantastique ne saurait être un sous-genre dénigré par les plus grands noms de la littérature. Autant que Socrate ou Aristote, les œuvres de ce genre participent à l’éducation des nouvelles générations en leur inculquant des valeurs qui trouvent leurs racines dans notre monde contemporain. Si les grands philosophes grecques nous ont appris à penser, Tolkien, J. K. Rowling, Lovecraft et Chattam nous montrent à quel point notre réalité peut basculer dans le chaos si l’on laisse certaines choses prendre trop de pouvoir.

 

[1] Samuel Taylor Coleridge (trad. Jacques Darras), « Autobiographie littéraire, chap. XIV », dans La Ballade du vieux marin et autres textes, Éditions Gallimard, coll. « NRF Poésie », 2013 (ISBN 978-2-07-031923-7), p. 379

[2] Pour en savoir plus à ce sujet, nous vous invitons à lire cet article : https://bit.ly/37DSuCr

[3] https://bit.ly/2GzRN1m

Mégane Forestier
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