

J’ai eu l’occasion de rencontrer Jean-Sébastien Guillermou lors des OctoGônes de Lyon en octobre 2017. Auteur de la saga Les Pirates de l’Escroc-griffe, parue chez Bragelonne, il m’a expliqué être un fervent amateur de jeu de rôle, au point d’avoir façonné sa trilogie grâce à cette discipline.
Forcément, quand le thème de ce webzine a été annoncé, j’ai tout de suite pensé à lui !
Interview : Jean-Sébastien guillermou
par Tiphs
- Bonjour Jean-Sébastien et merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à cette interview ! Le webzine de Génération Écriture, dédié aux jeunes auteurs, se penche ce mois-ci sur le jeu de rôle et son rapport avec l’écriture en général. Tout d’abord, qu’est-ce que le jeu de rôle représente pour vous ?
Bonjour Tiphs, et merci à vous de me donner la parole, c’est toujours un plaisir que de parler jeu de rôle, une passion qui m’a beaucoup apporté. Pour répondre à votre question, sans le jeu de rôle, jamais je ne serais devenu écrivain.
- Votre saga Les Pirates de l’Escroc-griffe est directement tirée d’un jeu de rôle que vous avez inventé au cours de votre adolescence, si je ne dis pas de bêtise. Comment vous est venue l’idée de cet univers, et comment en êtes-vous venu à vous dire « je veux en faire un roman » ?
En fait c’est un petit peu plus chaotique que ça ! Effectivement, à 15 ans j’ai créé un jeu de rôle médiéval fantastique, Les Huit Lances de diamant, auquel je jouais avec mes amis. Mon jeu était lui-même inspiré d’un « livre dont vous êtes le héros », Le Pays Maudit, que j’avais écrit au collège en cinquième : le lecteur lisait l’histoire et accomplissait des choix, qui le renvoyaient à un paragraphe numéroté. Je crois que c’est L’Oeil Noir qui m’a convaincu qu’un livre dont vous êtes le héros pouvait donner lieu à un véritable jeu de rôle. En ce qui concerne Les Huit Lances de diamant, honnêtement, il y avait du bon… et du moins bon (rires) ! L’univers était immense : j’avais rempli un classeur de cartes pour décrire une planète entière, car je voulais que mes joueurs éprouvent un intense sentiment de liberté. Certains aspects du jeu étaient originaux, mais d’autres étaient trop clichés. Des années plus tard, je n’ai conservé que les éléments les plus intéressants de l’univers, notamment certains peuples (les Oundis, les Sartoniens, les moines du Véléric…) pour créer le royaume des Mers Turquoise, le monde qui sert de cadre à ma trilogie.
- Vous est-il déjà arrivé, à l’inverse, de créer un jeu de rôle à partir d’un roman existant ? Si oui, le processus a-t-il été plus compliqué ?
Au collège avec un ami on a essayé, en toute simplicité, d’adapter Dune, mais nous nous sommes vite découragés (rires) ! Ce n’était vraiment pas le roman idéal pour concevoir un premier jeu de rôle amateur…
- Qu’est-ce que le jeu de rôle a apporté à votre écriture, et inversement ?
Le jeu de rôle m’a sensibilisé sur quelque chose d’essentiel : l’art de créer un univers. Je prends autant de plaisir à inventer des mondes qu’à écrire, j’avais d’ailleurs abordé ce sujet dans un article de mon blog intitulé Créer un univers. Aujourd’hui, mes textes n’ont plus rien à voir avec ceux que j’écrivais à l’âge de quinze ans. Étant donné que j’ai progressé, je nourris l’espoir que la trilogie des Pirates de l’Escroc-Griffe soit adaptée en jeu de rôle et commercialisée, histoire de boucler la boucle. Pour ne rien vous cacher, je travaille sur cette adaptation depuis des années, mais à la vitesse d’une fourmi asthmatique car l’écriture de romans est mon activité principale.
- Les deux sont-ils complémentaires, pour vous ?
Absolument. C’est aussi l’avis de mon éditeur, Stéphane Marsan, grand rôliste devant l’Éternel. Je pense qu’un concepteur de JDR ne pourra jamais bâcler un univers, car sa curiosité naturelle le pousse à se poser des questions fondamentales : quelle est l’histoire de ce monde ? Comment fonctionne son économie ? Quelles sont les croyances religieuses de ses habitants ? Comment la technologie s’est-elle développée ? Etc.
- Utilisez-vous parfois encore le jeu de rôle pour étoffer votre univers ou faire avancer votre intrigue ?
Je vais vous avouer un secret : certains personnages de mes joueurs se retrouvent dans mes romans ! Ce sont essentiellement des personnages secondaires de la trilogie, mais c’est une façon pour moi d’adresser des clins d’oeil. J’ai d’ailleurs une autre anecdote amusante : à un moment donné, dans mon premier roman, le capitaine pirate soupire et dit « J’ai l’impression que ça va être du porte-monstre-trésor ». Cette réplique, c’est un hommage au jeu de rôle et à Donjons et Dragons. Ma correctrice m’avait proposé d’enlever ce passage qu’elle trouvait bizarre et peu compréhensible pour les non-initiés. D’habitude, lors des corrections éditoriales, je suis un auteur très conciliant : j’accepte 90% de ce qu’on me suggère, mais là ce fut impossible : je tenais absolument à ce que les rôlistes se marrent en lisant ce passage (rires). Au final ça n’a pas loupé : j’ai de temps en temps des retours de lecteurs qui me disent qu’ils ont adoré la réplique du capitaine…
- Que conseilleriez-vous à quelqu’un qui souhaite adapter son jeu de rôle en roman ?
Tout dépend de quoi on parle. Si ce jeu de rôle a déjà été commercialisé, je n’ai pas grand-chose à apprendre à son créateur qui doit forcément avoir une bonne expérience de l’écriture : Fabrice Collin et Mathieu Gaborit sont passés par le jeu de rôle avant de devenir de grands auteurs. Pour ce qui est d’un jeu de rôle amateur, je pense qu’il faut commencer par se poser une question fondamentale : mon univers est-il vraiment original ? Ce n’est pas évident de répondre à cette question de façon objective, car le fait de jouer entre amis et de s’amuser peut être grisant, donner le sentiment qu’on a inventé un monde extraordinairement riche… J’insiste beaucoup sur l’univers, mais naturellement un roman ne se résume pas à ça : il faut aussi des personnages mémorables, une intrigue prenante (et pourquoi pas inspirée par une campagne de jeu de rôle : c’est ce qui s’est passé avec Les Chroniques de la guerre de Lodoss). Si on pense posséder tous ces ingrédients, il faut alors se lancer dans l’écriture en se posant une question vitale : suis-je architecte ou jardinier ? Les architectes, ce sont les auteurs qui commencent par rédiger des plans détaillés, qui connaissent la fin de leur histoire, etc. Les jardiniers, ce sont les écrivains qui travaillent au fil de l’inspiration et qui ne supportent pas de tout connaître à l’avance. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode car on n’est jamais totalement architecte ou écrivain, mais il faut savoir un minimum comment on fonctionne en tant qu’auteur pour travailler efficacement. Si des lecteurs sont intéressés, toute une section de mon blog est dédiée à l’écriture d’un premier roman car je suis également intervenant extérieur à l’université dans le cadre d’ateliers d’écriture.
- Merci beaucoup pour vos réponses !
De rien, ce fut un plaisir !

Sources
Le site de Jean-Sébastien Guillermou : https://escroc-griffe.com/
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