

plumes d'encre mêlée
par Anda
Si vous suivez l'activité de la sphère littéraire de Skyrock de loin seulement, voire pas du tout, le nom Plumes d'Encre Mêlée ne vous évoque sans doute absolument rien. Cet article est l'occasion d'une petite session de rattrapage, pour vous qui souhaiteriez une vague mise à jour sur les activités de vos pairs mais qui avez la flemme d'écumer les pages internet (on vous comprend) en ce sens.
PEM, pour les intimes, est donc un projet lancé sur Skyrock par Becca en février 2015. L'idée de base est relativement simple : nous nous accorderons en majorité sur le fait que la personnalité d'un auteur, ses expériences, ses intérêts, son vécu, tout cela influence très certainement son style d'écriture. Mais à quel point cet impact est-il perceptible ? C'est à cette question que PEM a tenté de répondre, en rassemblant un échantillon d'auteurs du web et en les soumettant à une expérience amusante : leur faire rédiger un texte dont le scénario aurait entièrement été inventé par une tierce personne.
Les origines
Lorsque l'on demande à Becca comment diable l'inspiration d'un tel projet a pu lui venir, elle répond que tout a commencé le jour où quelqu'un lui a fait remarquer que les plans de ses chapitres étaient très détaillés. L'idée a creusé un bout de chemin dans son esprit, et elle s'est alors interrogée sur les conséquences de ce fait. « Et si je ne pouvais plus poursuivre la rédaction de mes histoires, quelqu'un d'autre pourrait-il prendre la relève ? Si l'information à rédiger est très précise, à quel point le résultat varierait-il ? ».
De cette réflexion naît donc PEM, qui se veut, dans la mesure du possible, proche des schémas d'une étude scientifique. Quelques auteurs volontaires se voient présenter le même plan d'une histoire en cinq chapitres, aux informations et détails extrêmement poussés, avec la mission d'écrire ladite histoire en trois mois. Le titre, le résumé et l'épilogue sont laissés à la charge des auteurs, mais il s'agit bien là des seules libertés autorisées en termes de créativité dans cette étude.
Matériel & méthode
Ne nous le cachons pas, un tel projet relève d'une ambition relativement considérable. Même en l'exécutant à l'échelle de Skyrock et en se contentant d'un nombre limité de participants, il a fallu gérer les inscriptions, motiver les troupes, aller botter le derrière des auteurs pour qu'ils respectent les deadlines – ces fainéants – et conduire l'ensemble du projet durant plusieurs mois, sans parler des résultats récoltés qui ont ensuite demandé à être analysés. Mais surtout, point central de l'étude, il a fallu fournir des personnages, un scénario et un plan détaillé. Le genre littéraire – la romance – et le nombre de chapitres ont été décidés selon les votes des participants, mais il a ensuite été du ressort de Becca de trouver seule les idées, la motivation et le temps pour coucher sur papier les données nécessaire au déroulement de l'expérience. « C'était un défi pour moi, car je me suis retrouvée "obligée" en quelque sorte de trouver des idées très précises, très rapidement », nous avoue-t-elle. « C'est là que j'ai réalisé qu'il y a beaucoup de choses que l'on sait en tant qu'auteur, mais que l'on n'écrit pas forcément ! Par exemple, plusieurs ont la biographie de leurs personnages en tête sans l'écrire dans un document à part ; pour le bien de l'étude, j'ai dû rendre ces informations disponibles aux participants. »
Avant même le début de la rédaction, quelques réflexions ont ainsi pu être faites sur le processus d'écriture, la préparation d'une histoire et les variations que peuvent connaître les différentes techniques – d'une personne à l'autre mais également, d'un projet à l'autre. Une conclusion secondaire intéressante pourra peut-être même être tirée du déroulement de l'expérience !
Au total, cette dernière a donné naissance à un synopsis très complet, que je vais me retenir de spoiler ici mais que l'on pourrait résumer très rapidement de la façon suivante : l'histoire d'un couple sur la brèche, menacé par les infidélités et l'instabilité psychologique du « personnage principal » (titre que l'on pourrait discuter), Clémentine. Pour accompagner ce scénario, plus de quarante pages de plan et de fiches personnages ont vu le jour (ce qui est énorme, n'est-ce pas, surtout si comme moi vous pouvez faire tenir le plan de trois cents pages sur deux feuilles Word), emplies de petits détails en tout genre, qui pour la plupart n'ont pas été mentionnés dans les textes finaux. Rien n'obligeait les auteurs à le faire, tout comme rien ne les empêchait de les utiliser ; cela a toutefois permis de façonner un squelette très précis commun aux histoires, mais aussi de donner corps et complexité aux personnages pour aider les participants à mieux les cerner – ce qui peut être un exercice compliqué lorsque l'on n'a pas créé les protagonistes en question soi-même.
Malgré cela, beaucoup d'auteurs ont eu du mal à comprendre ou à accrocher aux personnages, ce qui a pu les gêner ou les bloquer dans l'écriture. LorianO nous dit notamment : « l'histoire ne me parlait pas trop […], je n'ai eu aucun atome crochu avec les personnages qui m'ont très vite insupportée. Je pense que […] ça s'est ressenti dans mon écriture, je me suis limitée au minimum ».
Pour certains, la profusion d'informations a même eu l'effet inverse de celui escompté, comme nous le décrit Matt' : « Le plan était trop complet pour moi, qui suis habituée à travailler avec des plans qui se résument à quelques phrases, voire sans plan du tout […]. Je n'ai honnêtement pas réussi à accrocher aux personnages, qui me semblaient de parfaits étrangers, même après lecture des biographies, à mon avis bien trop détaillées. Elles ne laissaient aucune liberté d'interprétation, ce qui était le but, mais qui a fait que je n'ai pas du tout réussi à accrocher avec les personnages. »
D'un autre côté, cette richesse impressionnante des documents annexes permettait, pour celui qui se sentait la foi et l'inspiration, de produire un texte très élaboré, certes basé sur le canevas obligatoire mais considérablement développé par rapport à celui-ci. Ce n'étaient ni les occasions ni les ouvertures qui manquaient, et pourtant, la plupart des auteurs s'en sont strictement tenus à l'armature fondamentale. Une conséquence de plus du manque d'affinité avec l'histoire ?
PEM fut donc une aventure titanesque, ce que l'on réalise sans mal si l'on discute quelques minutes avec Becca, à qui je laisserai le mot de la fin. Quant à l'organisation de son projet, sa réponse est directe : « difficile [...], d'autant plus que j'étais seule à gérer le projet. Idéalement, les auteurs auraient été rémunérés, auraient pu prendre davantage de temps, j'aurais eu un coup de main avec le scénario et les fiches... Bref, on est loin d'un cadre de recherche universitaire ! »
Les cobayes
Principaux acteurs de cette expérience, les participants, volontaires et bénévoles (aucun auteur n'a été maltraité durant la réalisation de cette étude – enfin, je crois), ont été nombreux à répondre à l'appel de Becca, mais bien plus rares à réussir à mener l'expérience jusqu'au bout. La curiosité a été le principal moteur de l'intérêt porté à ce projet ; curiosité vis-à-vis des résultats, pouvoir lire une même histoire interprétée sous différents points de vue, mais également curiosité vis-à-vis de leurs propres capacités. « J'ai participé parce que ça m'intéressait de voir, à un niveau personnel, si je pouvais écrire "sur commande", et aussi si je pouvais suivre un plan » explique LorianO.
Beaucoup ont toutefois abandonné avant de parvenir à rendre le moindre mot. Par manque de temps pour certains, mais aussi après plusieurs essais infructueux pour d'autres, qui se sont retrouvés frustrés ou limités par le trop grand nombre de contraintes, leur manque d'intérêt pour les personnages ou l'histoire ou, tout simplement, l'impossibilité d'écrire et de s'approprier quelque chose qui n'était pas directement né de leur imagination. « Le fait de délimiter autant l'histoire, les dialogues, etc., m'a vraiment bloquée. Ayant besoin de beaucoup de liberté quand il s'agit d'écrire, je ne me sentais pas capable de canaliser à ce point mon imagination et mes envies d'invention », témoigne Eclypse.
Blue s'est vue complètement freinée par le fait de ne pas être la créatrice des protagonistes qu'elle avait à manier : « J’ai participé à l’étude de Becca tout simplement parce l’idée d’écrire une histoire dont je ne maîtrisais rien (ou très peu) me donnait une sorte de défi personnel. J’avais très envie de pouvoir lui offrir un texte intime et écrit par ma plume sans que pour autant je n’ai eu l’idée du moindre détail de celui-ci. […] Etant une personne inspirée par mes personnages, le fait de ne pas les avoir créés par moi-même a sans doute été un facteur très handicapant pour l’écriture de l’histoire. De plus j’ai eu beaucoup de mal à cerner l’histoire (n’étant pas à l’aise avec la romance). […] Ce défi s’est transformé en grand questionnement du style : pourquoi le personnage influe autant sur ma façon d’écrire ? Et la réponse, c’est simplement parce que c’est leur vie et la manière dont je me les approprie qui me permet d’avoir l’inspiration. »
En fin de compte, sur vingt-deux participants initiaux, deux ont rendu un chapitre, un a rendu trois chapitres et six ont rendu un texte complet (cinq chapitres et un épilogue). Deux personnes ont refusé dès qu'elles ont lu le scénario et onze ont abandonné en cours de route.
Certains se sont contentés de titres très simples, d'autres ont cherché beaucoup plus long ou plus symbolique : de Clémentine à Une étoile une nuit d'août à Paris ou C'est une fin. Mais aussi un nouveau départ, en passant par Choisir ou Mentir, Boucle d'inconstance, Bergamote, Je t'aime... je crois, il y en a pour tous les goûts. Un titre a été choisi en latin, Ludus Personae, et un titre en anglais, You Wanted the Song to Rescue Us. Il pourrait aussi être intéressant de tenter l'expérience inverse : en tant que potentiel lecteur, sans disposer d'aucune autre information que ces titres, lesquels vous donneraient le plus envie d'aller lire l'histoire associée ? Nul doute que votre propre personnalité influencerait ce choix !
Il est aussi fascinant de comparer les différents résumés. Puisque laissés à la liberté de l'auteur, ils témoignent particulièrement bien des différentes façons d'appréhender l'histoire, de ce que chaque participant en a ressorti et de la façon dont il l'a ressentie. Certains sont très courts, incisifs, une ou deux phrases, d'autres plus longs, certains résument clairement l'intrigue quand d'autres restent très vagues. Les quelques lecteurs qui sont venus y jeter un œil ont d'ailleurs des avis très partagés à ce sujet, et les accroches préférées des uns ne font pas l'unanimité chez les autres.
Ces brefs aperçus peuvent suffire à vous fabriquer votre propre idée des résultats, et qui sait, peut-être vous donner envie d'aller en lire un peu plus. Les analyses de Becca ne sont pas encore disponibles, mais si vous êtes intéressés pour en apprendre plus sur le projet et vous creuser la tête sur les discussions soulevées par celui-ci, elles seront mis en ligne sur le blog. En attendant les résultats officiels, voici tout de même les premières pensées de la créatrice de l'étude : « J'ai trouvé que les personnages séparaient les auteurs en deux clans : ceux qui ne les avaient pas aimés et ceux qui, sans les aimer, les avaient trouvés intéressants. Par exemple, l'une des questions du questionnaire post-rédaction est « Décrivez Clémentine ». Certains ont répondu en quelques adjectifs très tranchés ; d'autres ont rédigé un long discours nuancé à propos de ses fragilités, de ses forces, de ses intérêts et rêves. Pour ma part, j'ai trouvé que ces visions polarisées avaient un impact sur la façon dont les histoires ont été racontées – forcément, ce n'est pas facile d'inciter les lecteurs à apprécier un personnage pour lequel on ne ressent aucune sympathie ! Rien qu'avec cette question – « Est-il possible d'écrire à propos de personnages qu'on n'apprécie pas ? » –, on aurait pu réaliser une étude très intéressante. ».
Les lecteurs ont également rapporté qu'il était difficile de s'attacher aux personnages dans la plupart des histoires, particulièrement à Clémentine qui apparaît froide, incompréhensible, distante voire antipathique. Alors, vos avis ? Défaut d'écriture ? Défaut de scénario ? Volonté de l'auteur ? Essence fondamentale du personnage ?
Les ressentis
Mais la question qui brûle toutes les lèvres (mais si) demeure : qu'est-ce que ça fait donc que d'écrire une histoire dont on n'a rien inventé, sur laquelle on n'a aucune maîtrise, dont on ne choisit que les mots ? Est-il facile de s'approprier une histoire dont on ne connaît rien, de la faire évoluer et vivre, même en comptant sur l'aide de plans et d'annexes très détaillés ? À quel point la part de création intervient-elle dans le processus d'écriture et surtout, dans l'attachement à l'histoire ? Et quelle valeur les participants peuvent-ils accorder au texte produit, satisfaction, tendresse ou rejet de ce vilain petit canard qui n'appartient pas réellement à leurs bébés-fictions chéris ?
« J'ai éprouvé des difficultés à écrire cette histoire » nous dit Matt'. « Chaque phrase était laborieuse et je ne reconnais pas mon style quand je les relis. J'étais vraiment bloquée par le plan. D'autre part, si j'avoue que n'ayant jamais écrit de romance, j'étais très intéressée pour en écrire une, l'histoire de Clémentine et Pascal ne m'a pas du tout passionnée. Le seul moment un peu plus plaisant, dans cette expérience, a été celui où j'ai écrit l'épilogue et où j'ai enfin pu inventer quelque chose de moi-même.[...] Le style en est plat, fade, sans aucune saveur, je n'y ai pas mis de cœur et n'y ai laissé aucun sentiment, ce qui explique cela. C'est dommage car il n'est, à mon avis, pas représentatif du tout de ce que je peux écrire. ». Malgré cela, l'expérience n'a pas été entièrement négative puisqu'elle en retire tout de même quelques apprentissages : « j'ai [...] été confortée dans l'idée que je ne suis pas quelqu'un qui aime écrire avec trop de plans, trop d'organisation et de détails. Je préfère partir d'une idée un peu vague et aviser en cours d'écriture. »
LorianO a tiré cette même conclusion mitigée : si elle a peu apprécié l'écriture, elle a trouvé l'expérience attrayante. « Je pense que le résultat ne ressemble pas vraiment à ce que je fais d'habitude parce que je n'ai pas mis trop d'amour dedans, donc même si le style est grosso modo ce que je fais d'habitude, c'est pas tout à fait ça non plus. […] C'était quand même une expérience intéressante parce que ça m'a permis de mieux cerner ce qui me donnait envie d'écrire une histoire, ce qui me plaisait chez mes personnages et dans ma manière de créer. Je pense que si on me re-proposait aujourd'hui de refaire l'expérience, je dirais non, mais une fois, c'était intéressant ! »
Lyaënidae apporte un bilan plus positif : « ça a été pour moi un exercice fascinant qui m'a permis d'en apprendre énormément sur ma manière d'écrire, mon style et mon moi d'auteur. […] Manipuler une histoire qu'on ne contrôle absolument pas, en écrivant à propos de personnages que l'on n'a pas créés est vraiment intéressant et difficile à la fois. Personnellement, j'ai eu du mal à rester fidèle au script et à ne pas partir dans mes fabulations et digressions. […] En effet j'ai l'habitude de changer mes plans au dernier moment, ou de laisser mes personnages faire ce qu'ils veulent, et là, pas possible de faire ça ! Ce qui m'a le plus marquée, je dirais, c'est que j'ai été frustrée comme une lectrice qui lirait une histoire sans pouvoir la changer à son gré. Et pourtant c'était moi qui écrivait ! C'est inhabituel et amusant comme sensation ! Enfin, en bref, j'ai appris beaucoup de choses sur moi-même et sur ma façon d'inventer mes propres histoires pendant l'écriture de cette histoire, et je remercie Becca de nous avoir proposé un exercice aussi ambitieux et inhabituel ! »
Becca elle-même serait prête à tenter l'expérience, si elle trouve un jour le temps et l'inspiration, et à rédiger cette histoire dans la conception de laquelle elle a investi beaucoup d'efforts. Lorsqu'on lui demande les choix qu'elle aurait personnellement faits, eût-elle été aussi assignée à la rédaction, elle répond : « j'aurais aimé ajouter tout le background qui venait avec les personnages (leur famille, leurs amis, les événements qui les ont marqués). D'ailleurs, j'avais laissé beaucoup de vides dans le canevas pour voir qui le ferait. »
Elle invite d'ailleurs tous ceux que le concept intéresserait à tenter le projet, même si la rédaction ne serait pas prise en compte dans le cadre de l'étude, juste pour le plaisir. Alors si vous souhaitez jeter un œil aux documents, aider à l'analyse des textes ou vous lancer dans l'écriture de l'histoire, n'hésitez pas à le lui demander !
Les résultats
Malgré ces désistements, vous pouvez toutefois trouver matière à lire ! Les différents textes ont été soumis avant le premier septembre 2015 et sont encore en cours d'analyse par Becca, qui a par ailleurs communiqué des questionnaires aux participants pour l'aider à tirer ses conclusions ; cependant, toutes les histoires sont accessibles sur le blog du projet et vous êtes libres d'aller y jeter un œil si la curiosité vous dévore (allez-y) (on ne vous jugera point).
Bien que l'idée de lire la même histoire encore et encore puisse paraître un brin lassante, il est tout de même intéressant d'aller parcourir quelques lignes ici et là pour aviser soi-même les différences entre les productions – et croyez-moi, celles-ci peuvent être frappantes. Jeter un œil aux titres seuls est un exercice amusant, d'autant plus si l'on connaît un peu le style de certains des auteurs mentionnés, car il est parfois très facile d'y reconnaître leur patte personnelle.

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