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Quand on parle de littérature classique, tout le monde a une image en tête : ces vieux livres longs et barbants qu’on nous faisait étudier en cours, ces bouquins inaccessibles ou encore ces perles littéraires qui ont été sacralisées. Avec les classiques en général, on pense aussi aux œuvres iconiques de certains genres, les grands westerns au cinéma par exemple, voire la musique classique.

 

Ainsi, lorsqu’il s’agit de donner une définition précise de ce grand panorama que sont les classiques et la littérature classique plus particulièrement, on est face à une série de questionnements : que peut-on inclure dans cette catégorie ? Est-ce un genre ? Qui choisit ce que l’on peut y mettre ? Peut-on remettre ces choix en question ?

 

Le but de cet article est de se pencher tour à tour sur chacun de ces problèmes pour éclairer les limites de la définition de la littérature classique.

Définir la littérature classique

 

par D.Cybèle

Pourquoi « classique » ?

 

C’est dans l’étymologie de ce mot qu’on peut retrouver l’idée première de ce qu’on entend par littérature classique. À l’origine un mot latin, « classique » renvoie à l’élite exemplaire, ce qui est de première importance. En effet, les livres que l’on désigne comme classiques sont souvent retenus pour leur qualité littéraire, leur impact historique, leur apport parfois avant-coureur dans le monde des lettres ou encore les controverses qu’ils soulèvent. Quoi qu’il en soit, ils ont été sélectionnés comme méritant qu’on les étudie et c’est ce à quoi s’attelle l’élite intellectuelle et lettrée des siècles durant. C’est par extension ce que l’on enseigne en classe.

À l’origine, la littérature classique ne comprenait que les œuvres grecques et romaines de l’Antiquité dans leurs langues d’origine avant de s’étendre aux grands auteurs et se diversifier avec l’évolution des mentalités. C’est pourquoi certains ouvrages qui à l’époque de leur publication n’ont reçu qu’une popularité marginale (les derniers écrits de Melville et Fitzgerald) et/ou qui n’ont jamais été qualifiés de littérature à proprement parler (Austen, Dickens, Balzac) se retrouvent dans nos étagères de classiques : ils ont été élevés rétrospectivement par une élite différente à une différente époque. De fait, on peut même parler de plusieurs littératures classiques qui se déclinent par pays, par genres, par siècles, etc. Mais dans les faits, quand on évoque la littérature classique, on se réfère le plus souvent au canon occidental.
 

 
Les classiques : genre ou pas genre ?

 

La notion de genres littéraires est complexe en elle-même : outils de marketing, indicateurs de courants littéraires, généralisations, et j’en passe. La tendance est à mettre tous les classiques dans le même panier, que ce soit pour ces raisons marketing par exemple ‒ plus facile de les ranger ensemble dans les librairies et de faire des collections spécialisées ‒ ou par le fait d’une généralisation culturelle. Mais si on se penche plus avant sur le contenu de cette littérature classique, on s’aperçoit rapidement que les genres sont extrêmement variés : poésie romantique (Lamartine), nouvelles fantastiques (Maupassant), romans d’horreur (Shelley) ou encore théâtre comique (Molière).

Par conséquent traiter les classiques comme un genre à part entière est absurde : c’est les retirer de leur contexte et créer une barrière avec le reste de la littérature. Car si l’idée qu’on a souvent des classiques est celle du roman barbant avec des phrases de dix kilomètres et une histoire à mourir d’ennui, ce n’est pas ce qui les définit puisque les ouvrages sont multiples et divers. L’étiquette « classique » est donc une création artificielle, peut-être nécessaire sur certains points, qui, comme expliqué plus haut, relève avant tout d’un choix conscient, voire d’une volonté de rendre ces ouvrages inaccessibles.
 

Le canon littéraire : qui choisit ?

Le canon littéraire tel qu’on le connaît ne s’est en effet pas formé de manière spontanée. On a retenu tels livres et pas d’autres car certains choix ont été faits par certaines personnes à certaines époques, ce qui mérite interrogation. En effet, la plupart de la littérature classique a été construite par l’élite intellectuelle, à l’origine principalement composée d’hommes blancs, ce qui éclaire sur l’absence de beaucoup d’auteurs dans le canon – même si certains ont été ajoutés après coup, comme Austen par exemple. Il s’agit donc d’une minorité de personnes dites lettrées qui ont retenu ces ouvrages et la présence de certaines œuvres sont le résultat de préférences marquées qui ont évoluées au fil des siècles.

Les absences sont de même tout aussi révélatrices : nous avons les livres écrits par les colons mais pas les colonisés, plus d’hommes que de femmes, un effacement des identités de certains auteurs etc. Par exemple, les cursus et le canon littéraire ont retenu To Kill a Mocking Bird (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur) de Harper Lee comme un élément central de l’expérience des noirs aux États-Unis. Cependant, c’est un ouvrage écrit par une femme blanche, à destination d’un public blanc et qui s’appuie sur l’idée construite et factice du white saviour qui de nos jours est fortement critiquée. Que ce livre soit considéré comme une représentation essentielle de cette expérience alors que des auteurs noirs américains ont écrit sur le sujet et sur leur propre vécu mais n’ont pas été retenus dans ce canon littéraire, montre que cette construction peut être remise en question puisqu’elle répond à une idéologie consciente qui est en constante évolution.
 

« Définir, c’est limiter »

Au final, nous avons vu que la littérature classique est une construction artificielle qui répond également à des critères de marketing et de généralisation culturelle et une étude sur le label même est intéressant. Cependant, doit-on se focaliser sur l’étiquette au détriment du contenu ? Je cite donc Oscar Wilde : « définir, c’est limiter », et par extension exclure. Dans ce canon occidental auquel on fait principalement référence, on retrouve très peu de classiques de pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud par exemple, qui ont pourtant leur importance dans leurs cultures respectives. Je citerai notamment une œuvre chinoise majeure, La Pérégrination vers l’Ouest de Wu Cheng En, très peu connue en France – un histoire qui a notamment inspirée les manga Dragon Ball, eh oui ! Il y a une barrière claire mise entre ce qui appartient au canon et ce qui est en-dehors du canon.
 
Alors quand on se demande ce qui peut être un classique, il n’y a en vérité pas de réponse et c’est presque au lecteur de se faire une bibliothèque de ses propres classiques. Bien sûr, on ne peut pas nier les qualités livresques de certaines œuvres, leur impact, leur nouveauté dans l’histoire de littérature, etc. mais même cela peut être discuté, questionné. Car en réalité, la littérature classique est plurielle, elle diffère selon les pays, les siècles, les époques, les genres et les formats. Si Michael Moorcock avec son Elric de Melniboné est désigné comme un auteur classique de la fantasy anglophone mais ne fait pas partie du canon académique, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de valeur littéraire à son œuvre par exemple ? J’en doute.


 

C’est pourquoi j’encourage le lecteur curieux à ne pas prendre peur face à la prestigieuse étiquette « littérature classique », d’aller au-delà de la limite, de cette barrière construite, afin de se faire son propre avis sur les ouvrages, dans toute leur diversité, quitte à consulter les études et les académiciens plus tard s’il le souhaite en se demandant pourquoi diantre ces livres ont été retenus, même si c’est pour dire au final que dis-donc Balzac c’était quand même pas bien fou !

D. Cybèle
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