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les croyances liees a la nourriture

par Mio

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​La nourriture, ça ne sert pas qu’à manger. Certes, on mange pour satisfaire l’un des besoins naturels les plus primaires, mais pour beaucoup les aliments n’ont pas qu’une valeur si triviale. Nous sommes bien placés pour le savoir, nous Français, qui comme d’autres avons fait de la gastronomie un élément proéminant de notre culture. L’histoire, l’anthropologie, les sciences sociales, la psychologie même se sont penchées un jour ou l’autre sur ce fait culturel qu’est la nourriture. Avant elles, les religions lui ont attribué une forte valeur symbolique. Les cultures populaires des différents pays ne sont pas en reste : les aliments que l’on consomme ne sont pas anodins, puisqu’on leur attribue toute une panoplie de significations, bien au-delà de leur simple valeur nutritionnelle.

nourriture et superstition

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Lorsqu’il s’agit d’alimenter le folklore et les superstitions, la nourriture n’est pas en reste (alimenter, vous l’avez vue celle-là, elle est bonne non ?). Certaines des croyances populaires associées à la nourriture s’expliquent par le contexte historique, la valeur sociale et économique des aliments, d’autres… mystère.

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Ainsi, le sel renversé porterait malheur ; bon, tu m’étonnes, ça coûtait cher ce truc. Astuce médiévale cependant : j’ai ouï dire que renverser du vin (qui lui n’est pas cher, c’est connu) sur le sel renversé annule le sort. Et pourrit votre nappe pour de bon, mais restons positifs. Par contre, les sources historiques indiquant pourquoi le même sel servirait à se protéger du mauvais sort (mais si, vous avez vu Supernatural), on cherche encore. Également, s’il vous vient à l’idée de couper les deux extrémités de votre baguette de pain, abstenez-vous : vous invitez le Diable dans votre maison, comme ça, mieux qu’un faire-part. Je suppose que le Moyen-Âge tenait vraiment à ses quignons. L’ail est votre meilleur ami car il fait fuir 1) le mauvais œil 2) les serpents 3) les vampires 4) les prétendants lourdingues. Bon, officiellement, les deux premiers surtout.

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La liste des croyances culinaires, très souvent contradictoires, est longue. Très longue. Elle varie grandement d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre. Ainsi, à peu près tout le monde sait que planter ses baguettes dans le bol de riz est un présage funeste au Japon. Là encore, il y a une explication culturelle derrière : le rite funéraire bouddhiste veut que l’on place en offrande sur l’autel du riz avec des baguettes plantées dans le bol. On comprend mieux, au regard de cette coutume, la connotation lugubre du geste. Alors pose ces baguettes tout de suite, merci.

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Les contes fantastiques, romans et nouvelles qui font usage de ces liens entre nourriture et superstition sont pléthore. Parmi eux, pas exemple, on peut trouver Dracula de Bram Stoker (1897) qui a popularisé beaucoup d’éléments de folklore autour des vampires, notamment leur étrange allergie à l’ail. On peut noter également que la nourriture de façon générale est au cœur de cette histoire, puisque le caractère effrayant des vampires est entièrement associé à leur régime alimentaire. C’est d’ailleurs pour trouver du sang neuf, un motif très pragmatique, que le comte Dracula décide de déménager de son château de Transylvanie en Angleterre, déclenchant les évènements du livre.

Nourriture et humeur
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Mais, et je sais que ça va vous étonner de l’apprendre, la nourriture n’a pas pour seul effet d’invoquer des démons ou de porter chance. En effet, elle agirait aussi directement sur notre humeur et notre état d’esprit. Je ne parle pas seulement ici de la mauvaise humeur qui peut vous envahir lorsque vous avez faim (vous savez très bien de quoi je parle) ou la joie de manger un plat que vous aimez particulièrement. Sans oublier le réconfort d’une bonne assiette chaude après une longue journée, ou le fameux pot de glace énorme, accessoire essentiel des ruptures douloureuses.

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Il y a également des croyances plus pointues autour de l’interaction entre la nourriture et vos émotions, et plus spécifiquement autour de certains plats. On a tendance à attribuer à des mets, hors de toute considération de préférence personnelle, des fonctions psychologiques ou physiques. Cela serait dû à des caractéristiques chimiques de certains aliments, même s’il arrive que ce ne soit pas réellement scientifiquement démontré. Prenons le cas évident des aliments réputés aphrodisiaques : ils stimuleraient le désir sexuel et amélioreraient la performance, je pense que vous savez tous que les requins se font tous piquer leurs ailerons sur cette seule promesse marketing. En réalité, il semblerait qu’une partie des aliments désignés comme tels n’aient pas d’effet direct sur la libido. Si la plupart d’entre eux sont bons pour la santé et que certains stimulent l’activité cérébrale, le lien avec la sexualité n’est pas immédiat. En revanche, il y a un effet psychologique dans la mesure où ils sont associés à l’image du dîner romantique, et c’est tout ce qui entoure ce dîner, l’atmosphère, le décor, le contexte, qui va exacerber les sentiments, comme on dit.

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Un autre exemple de cette confusion qu’il peut y avoir entre chimie et psychologie : le chocolat. Vous avez sûrement un jour ou l’autre croisé un article sur les réseaux sociaux qui révélait au monde la vérité que vous aviez toujours connue, au fond de vous : c’est scientifiquement prouvé, le chocolat rend heureux ! Il contient de la sérotonine et autres hormones du bonheur, alors voilà, ça explique pourquoi vous êtes si heureux quand vous en mangez et, non, vous ne pouvez pas arrêter avant la fin de la tablette. En réalité, c’est plus compliqué que ça : oui, il contient ces substances ; non, pas dans des quantités suffisantes pour affecter directement votre cerveau, à moins de manger 100 tablettes d’un coup. Les vraies raisons seraient, encore une fois, psychologiques : la valeur gustative que vous attribuez au chocolat, les moments particuliers dans lesquels vous le consommez qui l’intègrent dans un « système de récompense » pour votre cerveau… Du coup, le cerveau y réagit et libère bien de la dopamine, mais c’est bien de lui que cette dopamine provient, pas de votre tablette directement.

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Il y a sûrement beaucoup d’exemples dans la littérature de ces croyances qui associent nourriture et émotions, pas toujours sur une base très scientifique (ce qui n’empêche pas leur efficacité psychologique). Il y en a toutefois un qui m’avait beaucoup marqué parmi mes lectures, d’autant qu’il avait une forte connotation culturelle. Dans le roman policier De soie et de sang (2007), l’écrivain chinois Qiu Xiaolong met en scène un inspecteur qui a trouvé son coupable mais qui n’a pas assez de preuves formelles contre lui ; d’autant que l’homme est haut placé et en Chine, ça veut dire facteur de corruption multiplié par mille. Alors, en désespoir de cause, l’inspecteur invite son coupable à dîner. Dans un restaurant huppé, où il a soigneusement commandé ses plats et leur enchaînement de façon à mettre son invité sur des charbons ardents. En effet, il n’a choisi que des mets que les Chinois qualifient de « mets cruels » : concrètement, je ne sais pas ce que ça signifie, mais il me semble d’après les exemples qu’il s’agit de plats plutôt sophistiqués, contenant des animaux tués d’une façon particulièrement… eh bien, cruelle (du style ébouillanté vivant, etc.), avec des saveurs très fortes et atypiques. Le but étant donc de conduire le coupable à commettre une erreur en le mettant dans un état d’esprit particulier. C’est probablement la scène d’interrogatoire la plus étrange et atypique que j’ai eu l’occasion de lire, comme quoi il y a des choses intéressantes à creuser de ce côté.

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Nourriture et religion

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Ben oui, on parle croyances, on parle nourriture… il était temps de parler de religions, non ? Ça commence dès les premières religions dites païennes, qui reposent sur un système d’offrandes matérielles aux dieux. Du coup… allez, de la bouffe, ils aiment bouffer comme tout le monde, non ? Au-delà de ça, il est quand même frappant de constater que toutes les grandes religions connues (et les petites aussi sûrement, mais je ne vais pas avoir la prétention de dire que je les connais toutes) ont un discours et des règles vis-à-vis de la nourriture. Et cela de plein de façons différentes : interdictions, rites, symboles, offrandes, les aliments ont une variété de rôles dans les croyances et les pratiques religieuses.

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Et leur explication n’est pas toujours mystique : je vais prendre l’exemple, super connu mais tant pis, de l’interdiction du porc dans l’alimentation des fidèles musulmans, inscrite dans le Coran. Un certain nombre de commentateurs qui ont essayé d’expliquer d’où provenait cette interdiction ont fait l’hypothèse qu’elle découle en fait d’une considération hygiéniste : les risques que représente la viande de porc, surtout dans les climats chauds, comme vecteur de maladie. Attention cependant, je précise qu’il ne s’agit véritablement que d’une hypothèse a posteriori, non pas d’un fait établi, et qu’elle est contestée, donc à manipuler avec précaution.

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En-dehors de ces considérations pragmatiques, la nourriture revêt souvent une connotation symbolique forte. Si on prend cette fois l’exemple de la religion catholique, la commémoration de jours importants (le Vendredi saint, le mercredi des Cendres, etc.) passe par un menu particulier. Ainsi, pour beaucoup de catholiques, la tradition de « faire maigre » les vendredis (en consommant du poisson par exemple, au lieu d’aliments riches) renvoie à une démarche de pénitence pour commémorer le sacrifice du Christ le jour du Vendredi saint. Si on s’amuse à raccourcir l’argument pour faire son malin (et j’aime beaucoup faire ma maligne) : on mange du poisson le vendredi parce que Jésus est mort. Le lien n’était pas si évident a priori. Puisqu’on est dans les symboles et la religion chrétienne, il ne vous aura pas échappé que les aliments figurent un peu partout dans les rites et les traditions : si ça porte soi-disant malheur d’être treize à table, c’est parce qu’ils étaient treize pour la Cène, le dernier repas du Christ. D’ailleurs, pourquoi cette fixation sur son dernier dîner, de toutes les choses possibles ? Rajoutez la tradition de l’hostie et du vin de messe pour symboliser le Christ lui-même, « ceci est mon corps, ceci est mon sang », etc.  Il doit y avoir toute une thèse à faire sur la place prépondérante de la nourriture dans les livres saints. Elle a probablement été déjà faite quelque part, à vrai dire.

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Le rapport à la nourriture peut aussi être directement lié aux préceptes de base de la religion, et c’est l’occasion de faire une mention spéciale au bouddhisme, à l’hindouisme, au jaïnisme et bien d’autres qui prônent le respect strict envers tous les formes de vie. De fait, de nombreux membres de ces religions sont tournés vers une alimentation végétarienne voire vegan, afin d’avoir un mode de vie compatible avec ces préceptes. Ces religions sont d’ailleurs très souvent associées au végétarisme dans l’inconscient collectif, à raison donc.

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Nourriture et sante
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Aaaah, le bon gros massif cœur du sujet. Aujourd’hui, une très large majorité des croyances liées à la nourriture tournent autour de la santé. Ce qui est normal en soi : notre santé est en partie déterminée par notre alimentation, et il est prouvé que des excès systématiques augmentent à partir de cinquante ans les risques de diabètes acquis, de maladies cardio-vasculaires. Cependant, les considérations actuelles sur le « bien manger », qui ne cessent de foisonner, se croiser, se contredire, bannissant un aliment pour le réhabilitant, et vice-versa, s’apparentent quand même plus à un système de croyances qu’à une véritable science de la diététique. Ce qui ne veut pas dire que tous les bienfaits ou méfaits attribués aux aliments sont faux, seulement on se retrouve face à une information assez échevelée et chacun fait son « tri » dedans, un peu en fonction de ce qu’on décide de croire. La pensée magique fait le reste.

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Il est particulièrement difficile de s’y retrouver car les dogmes diététiques ne cessent de varier dans le temps. Qui parlait de gluten en-dehors des intolérants il y a encore quelques années ? Le phénomène du régime sans gluten a mis le haro sur toutes les céréales qui constituaient depuis longtemps la base de notre alimentation. Ces changements dans la perception de la nourriture ne sont pas uniquement à mettre sur le compte d’un effet de mode, ils sont liés aussi à notre nouveau rapport méfiant aux aliments. De plus en plus, les gens tendent à s’interroger sur ce qu’ils mangent, d’autant que notre nourriture est majoritairement transformée hors de notre regard, dans des usines. D’où la multiplication des discours autour du « bien manger », et qui peuvent parfois s’emballer sans base scientifique solide.

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Ça ne date pas d’hier, cela dit. Le rapport entre nourriture et santé a été établi depuis une éternité, et a fait l’objet de théories qui peuvent nous sembler farfelues aujourd’hui, ce qui est plutôt ironique quand on voit le déferlement actuel d’injonctions diététiques parfois bien incongrues. Au Moyen-Âge, en France, la médecine était régie par la « théorie des humeurs ». Je vous passe les détails, mais en gros, celle-ci affirmait que le corps humain était constitué d’un équilibre entre l’équivalent, à échelle humaine, des quatre éléments, qu’on appelait des « humeurs ». Chacune d’entre elle circulait par un liquide du corps et était associée à un organe : le flegme dans les poumons, la bile noire dans la rate, le sang dans la tête et la bile jaune dans la vésicule biliaire et le foie. La maladie était, pour les médecins, causée par un déséquilibre à l’intérieur du corps entre ces quatre humeurs. La solution pour rester en bonne santé était donc d’alterner des aliments qui étaient soigneusement classés en fonction de leurs effets sur l’une ou l’autre humeur, afin de maintenir l’harmonie. Les prescriptions médicales, à l’époque, tournaient donc quasi-exclusivement autour de la nourriture. Tu as une pneumonie ? Mange de la pastèque. Et ce n’était pas limité à l’Europe : l’empereur Qin Shi Huangdi, obsédé par sa quête de l’immortalité, suivait les régimes alimentaires les plus incongrus, incluant entre autres la consommation de jade pilée (c’est précieux, c’est sûrement bon pour la santé #logique). Qui a probablement bien accéléré sa mort, soi-dit en passant.

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Bien sûr, aujourd’hui, on sait que le corps et la santé ne fonctionnent pas exactement comme ça, et ça peut prêter à sourire. Mais quand on voit les vertus quasi-magiques qu’on prête encore à certains aliments, il y a de quoi se demander si on en est vraiment loin.

Pour conclure, ce bref aperçu n’est absolument pas exhaustif. La multiplicité des croyances, des théories, des symboles attribués à la nourriture ne permet pas vraiment d’en faire le catalogue, d’autant qu’il est souvent difficile de distinguer ce qui relève de la science, de la nutrition, de l’histoire culturel, de l’économie voire du fantasme. De plus, cette liste reste très occidentalo-centrée et la plupart des exemples ne sont valables qu’en Europe, voire en France. Si vous écrivez une histoire située dans un autre pays, voire une contrée issue de votre imagination, n’oubliez pas la nourriture ; mais surtout, n’oubliez pas tout ce qu’il y a autour, le système de valeur plus ou moins partagé, les rituels de la table, les superstitions… La nourriture, c’est bien plus que ce qu’il y a dans notre assiette. C’est un élément à part entière de notre identité, à la fois nationale, culturelle, sociale et, oui, personnelle. On le voit de plus en plus avec l’émergence de nombreux courants alimentaires dont les pratiquants se revendiquent haut et fort : veganisme, végétalisme, flexitarisme, pescitarisme, freeganisme, j’en oublie certainement et je ne connais même pas la définition de tous. Il n’empêche que la multiplication de ces labels dit quelque chose du rapport entre nourriture, identité et appartenance à une communauté.

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Mio
 
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Sources
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