

c'est le lac
​
texte n°1 :
par Marie Wioland
En période d’essai dans un journal régional, Luna venait de recevoir sa première mission. Enquêter sur un drôle de phénomène touchant un petit village perdu dans la montagne. Une histoire à dormir debout ou à coucher dehors.
– Hein ? Une histoire de queues ? fit-elle répéter à son boss, persuadée qu’il se payait sa tête.
– Oui, les habitants auraient perdu les leurs.
– C’est un bizutage, c’est ça ? Depuis quand les Hommes ont des…
Elle ne termina pas sa phrase, rougissant de ce qui aurait pu être compris par n’importe qui, entrant dans le bureau pile à ce moment précis, et grommela.
– Allez donc voir ! répondit ledit boss, avec un sourire en coin. Je veux votre article lundi à la première heure.
Pourquoi devaient-ils tous dire ça pour paraître sérieux ? Bref.
C’est ainsi qu’elle se retrouva pour le week-end dans ce village pas si perdu, mais un peu quand même en comparaison de la ville, à la recherche d’informations sur la disparition des queues des charmants habitants des lieux. La situation avait de quoi faire rire. Mais pas elle. Parce que c’était elle qui allait devoir poser les questions…
Sac sur le dos et carnet en main, elle s’avança vers un premier passant.
– Bonjour, j’écris un article sur la disparition des… hum… queues ? Vous sauriez ce qui a provoqué ça ? Ou connaissez-vous quelqu’un qui pourrait me renseigner ?
Le malaise, franchement… Il allait la prendre pour une folle, c’était certain. Mais contre toute attente, il hocha la tête et répondit :
– Celle-là !
Il pointa son doigt en direction de la base nautique. Luna plissa les yeux pour mieux voir et finit par repérer deux dames qui remontaient le chemin. Laquelle était-ce au juste ? Bon… Elle demanderait aux deux. Elle remercia son premier interlocuteur et s’en fut à leur rencontre.
– Bonjour mesdames, on m’a dit que vous pourriez me renseigner sur la mystérieuse histoire de disparition de queues…
Elle n’eut pas le temps de finir que la première s’exclama avec force :
– CELLE-LÀ !
Elle pointa la route qui descendait. Elle la pointait des deux mains. Sans doute parce que l’apprentie détective était trop bête pour comprendre avec une seule. Luna se confondit en excuses et poursuivit sa descente. Dire qu’il faudrait remonter après… La personne dont elles parlaient devait sans doute être cette femme assise sur un banc, qui profitait de la vue avec son compagnon. Elle comprit pourquoi en arrivant à leur hauteur. Les arbres s’écartaient pour laisser apparaître le lac en contrebas, scintillant sous le soleil de cette chaude journée d’été. Elle s’accorda quelques instants pour en profiter elle aussi. Puis, elle reprit son enquête en s’assurant cette fois que la jeune femme à qui elle s’adressait était bien la bonne. Cette dernière secoua doucement la tête et désigna le lac en répondant elle aussi : « Celle-là ».
Luna regarda dans la direction indiquée, perplexe, et finit par repérer une petite cabane au bord de l’eau. Mais oui ! C’était logique, ce devait être quelqu’un qui travaillait là. Elle s’en fut donc rapidement, pour connaître enfin le pourquoi du comment.
Arrivée à la cahute, elle posa sa question directement.
– Bonjour, je suis journaliste, je fais des recherches sur la disparition des queues. Sauriez-vous me dire ce qui se passe ici ?
La tenante de la buvette soupira et répondit :
– Celle-là.
Encore ? Mais c’était pas possible…
– Celle-là ? répéta-t-elle alors.
Son interlocutrice secoua la tête et montra le lac. Luna, aussi désespérée qu’exaspérée, se tourna vers le lac et aperçut une embarcation. Oh la la… Elle n’avait rien d’autre à faire que d’attendre. Elle s’assit au bord de l’eau, retira ses chaussures et y trempa ses pieds. Elle eut soudain l’impression que l’eau remontait le long de ses jambes. Elle se redressa brusquement. Plus rien. Elle avait rêvé.
– …elle histoire ! lâcha-t-elle tout haut.
Elle écarquilla les yeux et répéta :
– …elle histoire.
Elle tenta autre chose :
– Mais… est-ce… se passe à la fin ?
Incroyable. Et là, cette sombre affaire de queues, ou de [k], prit tout son sens. « Celle-là… ».
« C’est le lac »…
​