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3ème Place - Il n'est jamais venu

Rendez-vous avec la horde

par Jocelyn Debart

Hugo contemplait les ruines de Fourvière, inquiet. Le soleil se couchait, et si la lumière brisée mettait en valeur ce qui restait de la basilique, elle signifiait aussi que son contact, Mr Allen, était en retard. Il jeta un coup d’œil à sa montre. Celle-ci, brisée, affichait depuis plusieurs années l’heure H, 13h48, mais Hugo ne parvenait pas à se défaire de cette vieille habitude. Il regarda atour de lui. Il ne pouvait pas se permettre d’attendre plus longtemps ; bientôt l’obscurité envahirait les lieux et les hordes seraient de sortie. Il devait être rentré au camp d’ici-là. Il remit son vieux fusil de chasse à l’épaule et descendit la colline.

Tout était calme. Trop calme, comme chaque soir depuis douze ans. Depuis ce jour où tout avait changé, ce jour où des mots appartenant à l’imaginaire collectif d’une bande de geeks tels que zombie, horde ou passés dans le langage commun de ceux qui avaient survécu. Pas bien nombreux, en tout cas pour ce que l’on en savait, les communications ayant été coupées avec le reste du monde. Mais à Lyon, où Hugo se trouvait par hasard lorsque tout avait commencé, les choses avaient vite dégénéré. Il secoua la tête et accéléra. Il n’aimait pas penser à cette période, à tous ceux dont il ignorait s’ils avaient survécu.

Hugo entendit un bruit et sursauta. Il se figea et regarda autour de lui, tous ses sens à l’affût. Quelque chose avait bougé et les animaux avaient disparu depuis bien longtemps, dévorés ou effrayés par des zombies affamés. Non, il n’y avait que deux possibilités : un infecté ou un survivant. La deuxième option était peu probable : la plupart des rescapés de la région avait élu domicile à la cathédrale Saint-Jean, qui tenait encore fièrement debout, et il était très rare de croiser un nouvel arrivant. Il entendit un grognement qui confirma ses craintes : il avait été repéré par un infecté.

« Merde ! »

Il se mit à courir en suivant la pente, vers la Saône verdâtre, sans regarder derrière. Il regrettait amèrement d’avoir répondu à l’appel de ce soi-disant Mr Allen. Tout ça pour quoi ? Une illusion d’espoir ? Hugo avait perdu tout espoir il y a bien longtemps, ou du moins il aurait dû. Ce Mr Allen n’était qu’une chimère ou pire, un piège.

Hugo entendit d’autres bruits derrière lui. L’infecté qui le poursuivait n’était plus seul. Au bruit, ils étaient au moins trois. Hugo avait été musicien autrefois, dans une autre vie, et ses oreilles affûtées faisait qu’on l’envoyait généralement en éclaireur. Il repérait un zombie à 100 mètres, et savait différencier sa démarche de celle d’un survivant. Et là, il n’avait plus aucun doute : ils étaient au moins trois à ses trousses. Son cœur se mit à battre plus vite et plus fort que jamais et il sentait la fin approcher. Mais ses pensées étaient avant tout tournées vers ses proches, vers ceux qu’il avait laissés sans protection à Saint-Jean.

Cela faisait maintenant huit ans qu’un petit groupe de survivants s’était installé dans la cathédrale. En raison des horreurs qu’il était vécues depuis l’heure H, Hugo s’était endurci et était devenu assez naturellement le leader de ce petit groupe qui s’était agrandi au fil des ans. Cela faisait maintenant deux ans que plus personne ne s’était présenté aux portes du camp, comme si tous les humains de la région étaient désormais soit morts soit infectés. Et pourtant, la veille, était arrivé un mystérieux inconnu. Grand, au crâne rasé et à la barbe noire. On ne savait rien de lui et pourtant, ils l’avaient laissé entrer. Et cela à peine une semaine après qu’une lettre eût été déposée anonymement à l’entrée de l’église. Une lettre donnant rendez-vous ce soir et accompagnées de ces quatre mots, de simples mots qui pouvaient tout changer : « Nous pouvons vous aider ». C’était signé Mr Allen.

Bien entendu, Hugo n’en avait pas cru un mot tout d’abord, et s’était opposé à l’idée que quiconque aille à ce soi-disant rendez-vous. Dans ses années noires, il avait connu des pilleurs, des cannibales et pire, et Hugo avait appris à ne plus faire confiance à personne. Mais la communauté, et surtout sa compagne, l’avait persuadé que ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée. Il avait accepté, mais à une seule condition : il irait et il irait seul.

À présent, poursuivi par ce qui semblait être une horde en puissance, il regrettait son choix. Il était désormais tout proche, mais il ne pouvait pas se permettre de mener les zombies droit au camp. Il fallait qu’il les sème avant.

Soudain, il se figea.

Au loin, droit devant lui, des flammes s’élevaient dans le ciel sombre, tandis qu’une épaisse fumée emplissait l’atmosphère… le camp ! Hugo reprit sa course, concentré sur son objectif, et ignorant totalement la horde qui le suivait toujours. Ces flammes ne pouvaient signifier qu’une seule chose : la cathédrale avait été attaquée. Par qui ? Pourquoi ? Hugo blâmait d’entre l’inconnu, la rage oblitérant toute objectivité.

Il arrive sur la place et le spectacle qu’il vit dépassait en horreur tout ce qu’il avait enduré. Leur camp, ce mince havre de paix qu’ils avaient mis si longtemps à bâtir, était en train de partir en fumée. Bientôt il n’en resterait rien. Immédiatement, Hugo regarda autour de lui, guettant le moindre signe indiquant que ne serait-ce qu’un de ses proches avait survécu. Il entendait la horde approcher dans son dos, mais cela n’importait plus désormais.

« Derrière toi, attention ! »

Le cri avait retenti devant lui et Hugo reporta son attention sur la cathédrale. Des flammes avait émergé une silhouette,  celle de Fajira, sa compagne. Elle courait vers lui, ses cheveux flottant dans l’air, un pistolet dans la main gauche et un cocktail Molotov dans la main droite. Elle avait réussi, Hugo ignorait comment, à mettre la main sur un masque à gaz et celui-ci lui recouvrait une partie du visage. Il regarda derrière lui tout en se baissant, et se rendit compte alors de l’ampleur de la menace : une dizaine de zombies se trouvait à quelques mètres à peine de lui. Fajira lança le cocktail Molotov.

La bouteille passa lentement au-dessus de la tête d’Hugo et tomba au milieu de la meute. Les zombies prirent feu immédiatement, comme s’ils avaient été recouverts d’une matière inflammable. Cette menace était écartée. Pour l’instant.

Hugo se tourna vers Fajira et s’aperçut qu’elle était en larmes. Il lui demanda : « les autres ? ». elle répondit d’un signe négatif de la tête, baissant les yeux. La rage l’emplit et il demanda : « c’est lui, c’est ça ? C’est le nouveau ? » Fajira le regarda et il comprit que le temps des questions n’était pas encore venu. Pour l’instant, il leur faudrait reconstruire. Il l’approcha lentement et la prit dans ses bras, alors que la cathédrale Saint-Jean continuait de brûler derrière eux.

 

Le Docteur Allen entra dans le laboratoire où travaillait son collègue, le Dr Noblet, et lui demanda où il en était : « On approche, répondit celui-ci, le vaccin est à portée de main ». Il releva les yeux vers son ami et demanda : « Et toi ? Pas de signe de ces survivants ? ». Allen secoua la tête : « j’avais laissé un message à l’entrée de leur camp, pour ne pas les effrayer. Je leur avais donné rendez-vous. Je pensais qu’ils amèneraient au moins l’un d’entre eux. »

« Ils ne l’ont pas fait ? »

« En tout cas, il n’est jamais venu… »

 

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