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Nuit d'orage

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texte n°2 : Corneille dans l'orage

par Nathalie Bagadey

 

 

Il faisait nuit.

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Avant, la nuit, il dormait, comme tout le monde. Mais depuis quelques temps, ses rhumatismes choisissaient précisément ce moment-là pour se réveiller. Ses doigts se raidissaient ; la douleur les crispait en une position peu naturelle, grotesque. Ainsi, ses doigts crochus étendus devant lui, il ressemblait à une gargouille.

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Il cligna des yeux : ceux-ci s’étaient portés sur l’une des tours de Notre-Dame que les éclairs venaient d’éclairer d’une lumière blafarde. Puis la nuit repris le dessus, recouvrant la scène de son manteau sombre, pesant.

Il attendit.

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Un. Deux. Trois…

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Grumbleblum.

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L’orage se rapprochait.

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Avant, il aimait les orages.

A peu près autant qu’il aimait la nuit.

Il appréciait le sentiment d’impunité, de cocon protecteur, d’observateur en retrait qu’il éprouvait lorsqu’il se retrouvait chez lui à contempler les éléments déchaînés à l’extérieur. Passionnés.

C’étaient des fresques fugaces dans le ciel sombre, aussi violentes et colorées que les émotions humaines. Des émotions qu’il se plaisait également à observer… et à dépeindre.

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Il sourit lorsque l’éclaire revint illuminer la tour et révéla les gargouilles grimaçantes en face de sa bâtisse.

Dans l’histoire qu’il était en train de raconter, il a avait cet homme perdu de douleurs, comme lui. Rendu impuissant par le poids de l’âge mais terriblement fier et ombrageux. Comme le tonnerre qui grondait encore. Plus fort.

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Les doigts gourds, il prit une plume, la trempa dans l’encrier. La flamme dans le bougeoir oscillait au ré du soufflet du vent qui passait sous la porte.

Il serra ses doigts, grimaça devant la douleur que le geste occasionnait, avant de l’oublier. Il avait des mots à coucher sur le papier. Des mots que l’orage arrogant lui avait soufflés.

Un sourire ironique aux lèvres, il écrivit plusieurs lignes. Les considéra un instant, la tête penchée sur le côté, à l’écoute des grondements colériques à l’extérieur tout comme des martèlements sourds à l’intérieur de ses doigts suppliciés.

Puis, il ajouta quelques mots en préambule.

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« Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !

N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ! »

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Ainsi écrivit Pierre Corneille, par une nuit d’orage de l’an 1636.

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