top of page
Le Comédien des jours de pluie

— Miss, lança soudain une voix par-dessus son épaule, je crois qu'on fait bien la paire !

Ella sursauta et pivota. Quelqu'un d'autre avait trouvé refuge sous ce pont. Elle écarquilla les yeux en le voyant. Et retint un mouvement de recul, stupéfaite par son apparence.

— Diable, Miss, vous êtes dans un état ! s'exclama l'inconnu.

L'étrange individu avait une voix indubitablement masculine. Il portait un étrange costume coloré, dont les couleurs semblaient avoir été assemblées au hasard. On aurait dit qu'il sortait de l'atelier patchwork. L'habit de tissu coloré était complété par une paire de gants, l'un rouge foncé et l'autre noir, et des bottines à talons constellées de taches flamboyantes.

Cookies d'Or

Meilleure netrée/sortie de personnage(s)

ex-aequo

Son visage, quant à lui, était recouvert par un large masque. Seuls ses yeux, d'un profond vert émeraude, étaient visibles. Le masque comportait trois trous : deux pour les yeux, fins et triangulaires, comme si les larmes les avaient déformés, et un plus grand, pour la bouche. Ce dernier était grotesquement tordu en une grimace désespérée. Le visage ainsi formé par le masque était blanc, excepté deux grandes taches qui apportaient de la couleur, entourant les yeux et descendant jusqu'au niveau de la bouche. L'œil droit était cerclé d'or, le gauche, de rouge.

Ella regarda fixement l'homme, bouche bée. Elle avait déjà vu de tels costumes, sur internet. Les photos du carnaval de Venise l'avaient toujours intriguée. Mais l'impression qui se dégageait de l'accoutrement de l'inconnu n'avait rien d'amusant, au contraire. La souffrance du personnage semblait comme résonner avec la sienne.

La jeune femme frissonna.

— Vous n'êtes pas mouillé, laissa-t-elle échapper, sans réfléchir.

L'homme fit un drôle de petit bond, atterrit sur ses deux pieds joints et mima une révérence. Ses yeux pétillaient de malice.

— Le ciel m'aurait épargné, ricana-t-il joyeusement.

Son ton contrastait avec le visage de son masque. Ella hocha la tête et se détourna, le regard fixé sur la pluie. L'homme était étrange. D'ordinaire, elle évitait ces individus qui, accoutrés d'une drôle de façon, avaient ce petit quelque chose d'inquiétant. Comme la plupart des gens, elle baissait les yeux et faisait mine de ne pas les voir.

— Enfin, mon père a assassiné ma dulcinée, ma sœur s'est enfuie avec un bandit et mon meilleur ami a tué mon père. Parce qu'il aimait ma dulcinée, lui aussi. Alors, cette journée ne m'a pas vraiment épargné non plus, voyez-vous, ajouta-t-il soudain.

Son ton, quoique plus sérieux, restait plutôt léger. Stupéfaite, Ella secoua la tête. L'homme divaguait. Matisse l'avait larguée, il pleuvait à seaux, elle était trempée, ressemblait à un épouvantail et était coincée sous un pont avec un cinglé. Parfait.

— Enfin, reprit-il, fataliste, ce sont des choses qui arrivent !

bottom of page