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Nuit d'orage

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texte n°1 : Nuit d'orage

par Sébastien Danielo

 

 

Un vent violent secouait la lande entourant le petit village. Des paquets d’embruns glacés giflaient l’herbe rase par intermittence. La poussière de chaume s’envolait des toits de paille. Bien que la soirée soit à peine entamée – et sous ces latitudes, le soleil se couche bien après les hommes – les gros nuages noirs qui s’amoncelaient ne laissaient passer qu’une lumière crépusculaire. La mère, grosse et grise, secouait durement la dernière barque qui tentait de rentrer avant la tempête. Deux hommes l’attendaient, courbés sous les rafales, tentant de garder leur équilibre sur la plage de galets. L’un des marins leur lança une corde mais une lame de travers l’envoya bouler dans l’eau écumeuse. Il disparut un instant à la vue de ses compagnons avant d’être rejeté sur la plage, trempé et jurant. A grands renforts d’insultes immédiatement happés par le vent, ses collègues hissèrent difficilement la barque alourdie d’eau au sec, haut sur la grève. Ils injurièrent deux enfants qui passèrent entre eux, courant après une poule qui perdait ses plumes dans les bourrasques. Un esclave tentait de récupérer les vêtements de son maître qu’il avait mis à sécher sur une corde et lui claquaient au visage avec violence. Un moutonnement blanc et soubresautant apparu sur la lande, ponctué de moult bêlements et d’aboiements. Quittant les pâtures livrées aux bourrasques, un berger et ses chiens poussaient devant eux un troupeau de moutons affolés, pressés de retrouver la quiétude de la grange. Plusieurs volets claquèrent, brutalement rabattus par le vent. Des mains surgirent des fenêtres pour les fixer solidement et calfeutrer toutes les ouvertures. Le tanneur sortit brutalement lorsque les premières gouttes tombèrent. Il rentra précipitamment ses dernières peaux, cassant un montant en les faisant passer par la porte. Les longs traits glacés tombant du ciel précipitèrent les derniers villageois visibles à l’abri. Les enfants cessèrent de poursuivre la poule, les marins abandonnèrent le vidage de leur barque et le troupeau galopa à la suite du berger. Les portes claquèrent sur les dernières lumières du village, et toute vie disparut.

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Ou presque. Au milieu du chaos, un homme semblait indifférent à l’agitation ambiante. Pensif, il tirait sur sa pipe. Adossé dans l’encadrement de sa porte, il ignorait le vent et la pluie qui jouaient dans ses cheveux et sa barbe. Lorsque la dernière porte se fut refermée sur un intérieur chaud et accueillant, il ne resta comme source lumineuse que le rougeoiement inquiétant qui l’éclairait par derrière. Alors que le crépuscule d’orage laissait peu à peu la place à la véritable obscurité de la nuit, il jeta un œil derrière lui.

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Sa forge ronflait. La violence du vent qui s’y engouffrait portait les braises au blanc, rendant la température de la pièce intenable. La pluie qui giflait le paysage remplissait rapidement de son eau glacée un grand bac de refroidissement. Lorsque l’obscurité fut totale, il vida sa pipe. En entrant dans son atelier, il saisit les gros gants qui pendaient à l’entrée et les enfila. Le feu blanc irradiait et ronflait, effaçant toutes les ombres. L’homme récupéra son lourd marteau et sortit une lame mal dégrossie du brasier. Il la posa sur son enclume et rejeta son bras en arrière. Au moment où il abattait son marteau de toutes ses forces, les cieux furent découpés par les dents déchiquetées d’un intense éclair blanc. Thor, le dieu forgeron, se mettait au travail avec sa discrétion coutumière…

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