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1ère place - Nouveau Départ

La traversée

par Les philosophes de comptoir

 

 

Deux personnages, A et B ; deux hommes.

 

Un homme entre sur scène. La scène est dans la pénombre. Sur scène, deux chaises sont disposées, face public. L’homme s’avance lentement.

 

Homme A : J’ai toujours eu peur du noir. Un temps. Je me souviens d’ailleurs que ma mère laissait allumée une bougie au pied de mon lit. Un temps. Tu me faisais rire, maman, en me racontant des histoires que tu inventais. Tu avais toujours ce sourire attendri et ces yeux doux quand tu nous regardais, mon frère et moi. J’aimais t’écouter chanter, certains jours où il faisait beau. Et puis il est arrivé, maman. Je l’ai détesté dès que je l’ai vu. Il a soufflé la flamme qui t’animait et nous a plongés dans le noir de ton désespoir. Un temps. L’homme s’assoit sur la chaise. C’était à mon tour de te tenir la main en te racontant des histoires. À mon tour d’être une mère, toi qui étais redevenue enfant. Mon frère, n’arrivant pas à le supporter, s’en est allé, me laissant seul à tes côtés. Un temps. Avec lui. Lui, toujours lui. Je le hais, maman. Il ne te lâchait pas. Nuit et jour, il te collait à la peau, me narguant, te volant la fin de ta personnalité, ne laissant derrière lui qu’un corps devenu débile. Un temps. L’homme se prend la tête dans les mains, se relève et marche jusqu’au proximum. Pardon, maman, pardon ! Je n’ai peut-être pas été assez fort (l’homme crie de plus en plus, regardant le ciel), peut-être que je n’ai pas su t’aider, pourtant je te jure, maman, que je t’ai soutenue à bout de bras. Je ne dormais plus, je mangeais à peine. Pourquoi toi ? Pourquoi nous ? L’homme se calme. Un temps. Pardon, maman. Il se met face public. J’ai fait tout ce que j’ai pu, mais c’était trop dur. Ce n’est pas toi que j’ai voulu tuer. C’est lui. Ce n’est pas toi que j’ai tué. C’est ton cancer.

 

Un autre homme entre, marchant tranquillement.

 

Homme B (il parle d’un ton détaché) : On va bientôt partir.

 

L’homme A donne deux pièces à l’homme B.

 

Homme A : La traversée est longue ? Un temps. J’ai les paupières lourdes. Un temps. J’aurais voulu me reposer.

 

Homme B : Ne vous inquiétez pas, vous pourrez dormir, le Styx est calme.

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