
Littérature rapide
Line H.
Ils disent que nous sommes des ratés. Des frustrés laissés sur la touche, des jaloux revanchards. Pas un seul d’entre nous, pourtant, n’a postulé un jour pour soumettre son verbe aux dieux tout-puissants d’AlgoArt, insatiables maîtres du marché de la création.
Jamais.
Aucun algorithme ne nous dictera la voie, aucun algorithme ne débroussaillera les chemins de nos écritures. Rien ne nous presse. Nous posons et pesons chaque mot. Nous prenons le temps de nous perdre. De nous engager dans les sous-bois. D’être surpris. De voir nos pensées fleurir.
Les pages que nous noircissons sont autant de poings levés.
Ils disent que nous sommes réactionnaires ; de sombres extrémistes, technophobes et dépassés, de pathologiques antisociaux à la marge. Oui, nous sommes à la marge. Nous refusons la censure du chiffre. Nous refusons la surproduction de clones d’encre et de papier, d’histoires convenues et consommables, comme un fast-food bien gras qui remplit votre ventre de saloperies et endort vos synapses. Remplir, endormir.
Nous voulons éveiller.
Nous collons nos cris par-dessus les écrans.
Nous crions nos vérités sous les fenêtres.
Ils disent que la folie nous guette. Des aliénés, des barjos, des complotistes. Tous les médias aux ordres aboient les discours d’AlgoArt. Les romans-clones se déversent dans les têtes vides, toujours plus vides à mesure qu’elles se remplissent des ramassis semi-robotiques vomis à la hâte pour une bouchée de pain.
Qui sont les fous ?
Ils ont oublié ce que signifie l’humanité. Ils ne connaissent plus rien du temps long, de la pensée qui s’épanche, des émotions qui s’étalent, multicolores, de la naissance des idées, de ces vérités attrapées par quelques mots justes qui vous transforment.
Ils ne savent plus que l’on peut être son propre maître.
Nous voulons être nos propres maîtres. Analyser, questionner, dénoncer, célébrer, fouiller au-dedans des choses et de nous-mêmes. Nous nous acharnons à écrire, encore, sans en confier une seule lettre au monstre artificiel.
Nous distribuons nos œuvres. Devant les locaux d’AlgoArt.
Nos corps, nos cœurs et nos livres bloquent l’entrée.
Ils disent que nous sommes des terroristes.
Line H.
