
Faut-il être influenceur
pour vendre son livre ?
Elodye H. Fredwell
Influenceur·euse·s, réseaux sociaux, TikTok, #Bookstagram… Tous ces éléments de langage font désormais partie du quotidien des auteur·ice·s et de l’ensemble des acteur·ice·s du monde du livre. Étant moi-même autrice, consultante en communication et chargée de communication pour une jeune maison d’édition, je me suis dit qu’il était grand temps de parler de la place de l’auteur·ice dans la promotion de son livre. Préparez-vous une bonne tasse de thé, ou de n’importe quelle boisson qui vous conviendra, et mettez-vous à l’aise : l’article promet d’être dense !
Le rôle des réseaux sociaux dans la promotion d’un livre
Avant de nous embarquer au cœur du sujet du jour, je pense qu’il est important de faire un petit point sur le contexte de cet article. Depuis quelques années, surtout depuis le confinement, le monde littéraire s’est fait une très belle place sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram et surtout sur TikTok. On y a vu naître spécifiquement deux hashtags très populaires aujourd’hui : #BookTok (121,8B de vues) et #Bookstagram (88 549 358 de posts). Vous l’aurez compris : c’est HUGE. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Le cas #BookTok
Pour écrire cet article, j’ai regardé l’excellent documentaire de Jeannot se livre, Comment Tiktok bouleverse l'industrie du livre ? (Documentaire) qui revient sur le phénomène de TikTok dans le monde littéraire. Elle y interroge un journaliste, une influenceuse TikTok ainsi que des acteurs du monde de l’édition qui se sont fait une place dans la communauté #BookTok.
Mais #BookTok, ça vient d’où ? Et bien, ça vient des États-Unis. Avant le confinement de 2020, il y avait déjà une belle communauté active sur TikTok sous le hashtag #BookTok. Bien vite, le phénomène s’est exporté en France et a bouleversé l’industrie du livre. Tout à coup, lire et le montrer était devenu à la mode. Cela a changé la donne dans les ventes de certains livres très mis en avant sur la plateforme. C’est le cas notamment du roman Le Chant d’Achille, de Madeline Miller, sorti en 2014, mais dont les ventes ont explosées en 2021 grâce à TikTok. On pense aussi à des séries comme Grisha, de Leigh Bardugo, Captive de Sarah Rivens ou encore les romans de Coleen Hoover plus récemment. Ils sont propulsés continuellement sur la plateforme, trouvent leur public et atteignent un nombre de ventes parfois 6 fois supérieur aux premières années de publication.
Vous avez saisi l’idée : #BookTok est un levier important pour les maisons d’édition, puisque la communauté littéraire y est très présente et permet la mise en avant d’œuvres parfois délaissées du grand public (mais j’y reviens plus loin dans l’article).
L’influence dans le monde du livre
Les services presse ne sont peut-être pas un terme inconnu pour vous et semble être assez récent alors que ça existe depuis bien des années. Les maisons d’édition ont toujours utilisé ce moyen pour permettre à leurs nouveautés littéraires d’avoir une place dans les médias traditionnels. Le concept : envoyer un livre gratuitement à un·e journaliste dans le but de faire grimper la visibilité du livre et donc de ses ventes.
Cette pratique s’est éloignée peu à peu des médias mainstreams pour atteindre d’abord les blogueur·euse·s, puis les Youtubeur·euse·s, et enfin les Bookstagrameur·euse·s et les Tiktokeur·euse·s. Bref, les créateur·ice·s de contenu sur les réseaux sociaux. Si les blogs étaient une passerelle intéressante pour les chroniqueur·euse·s, elle s’est largement déportée sur les réseaux sociaux, laissant à l’abandon les chroniques très longues et complètes que l’on trouvait sur les blogs littéraires.
Maintenant, avec TikTok et Instagram, tout le monde peut devenir critique littéraire, à partir du moment où la personne est prête à publier ses avis de lecture régulièrement, à être engagée sur la plateforme et à faire vidéos et posts attractifs.
Cette influence est cependant à méditer et c’est d’ailleurs abordé dans le documentaire de Jeannot se livre : jusqu’où les créateur·ice·s de contenu sont responsables de leur contenu ? Si c’est un thème un peu hors sujet par rapport à l’article, il est important de noter que l’influence sur Internet est encore mal cadrée et que des dérives existent. #BookTok a notamment mis dans les mains de jeunes adolescentes des livres de dark romance très violents qui dépeignent des relations toxiques… Est-ce le genre de livres que des adolescentes de 12 ans peuvent lire ? Je ne pense pas et c’est en ça qu’il est important de faire attention aux contenus que l’on voit sur les réseaux sociaux.
La position des maisons d’édition
Parlons un peu des maisons d’édition, désormais. Les maisons d’édition profitent complètement de l’impact des réseaux sociaux sur l’industrie du livre. Jeannot se livre a été à la rencontre de deux maisons d’édition françaises très présentes sur les réseaux et pionnières en la matière : Robert Laffont et Hachette Romans. Les deux font appels à des influenceur·euse·s pour leurs services presse afin de toucher directement leur cible via leurs communautés. Ce mode de communication s’est développé aux auteur·ice·s auto-édité·e·s (moi-même j’ai fait appel à un ou deux services presse pour mes romans) et aux petites maisons d’édition. Avec Le Labyrinthe de Théia, nous avions fait un appel à influenceur·euse·s et avons sélectionné des comptes Instagram, TikTok et Youtube pour aider à améliorer la visibilité de notre première parution. Ces partenaires à l’année sont désormais essentiels pour étendre notre rayonnement sur les réseaux sociaux.
Maintenant, il y a des questions qui subsistent quant à la place de ces maisons sur les réseaux sociaux et leur communication. Le dernier “scandale” en date concerne le concours du primo-roman de Robert Laffont : pour participer, il était obligatoire de publier une vidéo TikTok pour pitcher le roman envoyé en soumission. Une condition qui n’a pas fait l’unanimité et pour laquelle je suis également mitigée.
Si l’envie de Robert Laffont était de pouvoir toucher une nouvelle cible en intégrant TikTok à leur stratégie de recrutement d’auteur·ice·s, je trouve que c’est plutôt une bonne stratégie. Rendre la publication d’une vidéo obligatoire pour voir son roman être sélectionné, je trouve ça maladroit. Je m’explique : l’idée, en soi, n’est pas mauvaise (et je reviendrai sur la place de l’auteur·ice·s dans sa propre communication plus tard), mais elle ne devrait pas être une condition à la participation de ce concours. Qu’un·e auteur·ice·s décide que le pitch de son roman soit fait en vidéo ou en audio plutôt qu’à l’écrit devrait être un choix encouragé, mais pas déterminant pour les sélections de romans. Dans la vidéo de Jeannot se livre, l’éditrice explique que le roman est bien évidemment primordial dans la sélection et que le nombre d’abonnés ou de vues n’a aucun rôle dans ces choix. La question que je me pose est la suivante : pourquoi avoir rendu la publication de la vidéo obligatoire pour participer si celle-ci n’a pas d’impact sur le choix final ?
Vous avez 4h !
La place des littératures marginalisées depuis les réseaux sociaux
J’ai soulevé de nombreux points de questionnements quant aux réseaux sociaux, mais il y a un point qui est très positif selon moi : la mise en avant de genres littéraires détestés en France ! D’ailleurs, j’ai beaucoup aimé ce qu’a dit Augustin Trapenart dans la vidéo de Jeannot se livre : “TikTok a permis à certaines littératures totalement marginalisées par la presse mainstream de trouver une caisse de résonance, d’être promu. Et ça, c’est quand même très intéressant. C’est-à-dire que si y’a autant de comptes BookTok qui fonctionnent extrêmement bien sur la romance, sur les littératures de l’imaginaire et sur le manga, c’est peut-être aussi parce que nos médias mainstream ne s’y étaient pas intéressés, ne les ont pas mis en avant, alors qu’ils fonctionnent extrêmement bien en librairie.”
Je trouve que c’est un bon résumé du phénomène que nous sommes en train de vivre. On a beau dire ce qu’on veut sur la place des réseaux sociaux dans notre façon de consommer des livres, il faut bien avouer que les littératures de l’imaginaire et certains types de romances sont de plus en plus plébiscités grâce à leur grande présence sur les réseaux sociaux. Pourtant, comme le souligne Augustin Trapenart, ce sont des genres qui marchent très bien en librairie, mais que l’élitisme culturel français considère comme moins important que la littérature blanche.
Dans la vidéo, il y a un élément qui a été soulevé qui m’a tiré un sourire : Marc Levy et Guillaume Musso étaient aussi critiqués à leurs débuts quand ils ont commencé à envahir les plateaux TV. Et maintenant ? Ce sont les auteurs les plus lus en France. Les littératures de genre ont donc un avenir radieux si on part de ce constat et ce, grâce au pouvoir de l’influence sur les réseaux sociaux !
En quoi construire son image personnelle en tant qu’auteur est important ?
Maintenant que j’ai placé le contexte (oui, c’était un peu long, je sais, mais c’était important), on va pouvoir parler de la place de l’auteur·ice dans la promotion de son livre. Car, oui, iel a une place essentielle dans ce processus, même en maison d’édition. Je t’explique.
L’impact de l’auto-édition dans l’image personnelle des auteur·ice·s
Dans l’édition traditionnelle, la règle est simple : la maison d’édition prend en charge la totalité de la production et de la promotion de l’œuvre d’un·e auteur·ice. Et, en effet, c’est généralement ce qui est préconisé, notamment parce que l’auteur·ice n’est pas communicant·e. Son boulot est d’écrire son livre et pas de faire des vidéos TikTok.
Néanmoins, avec la grande part d’auteur·ice·s auto-édité·e·s en France depuis quelques années, il est devenu évident que les auteur·ice·s ont leur rôle à jouer sur les réseaux sociaux. Bien sûr, les personnes qui se publient par leur propre moyen n’ont pas d’autres choix que d’être actives sur les plateformes pour se faire connaître et gagner de l’argent avec leurs livres. Mais nous nous rendons compte que de plus en plus d’auteur·ice·s en maison d’édition ont suivi le mouvement. Et plusieurs raisons se cachent derrière :
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une envie de maîtrise de sa propre image ;
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un besoin d’être au plus proche du lectorat ;
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une volonté de contrôler ce qui se dit autour de son propre livre.
Il y a cependant une raison qui me semble primordiale et que beaucoup d’auteur·ice·s en maison d’édition semblent omettre : communiquer soi-même sur ses romans, c’est ne dépendre que de soi.
Ne dépendre que de soi
Pour expliquer un peu plus cette notion, je vais prendre l’exemple très concret de la communication du Labyrinthe de Théia (oui, c’est moi qui m’en occupe, donc c’est forcément beaucoup plus simple d’utiliser cet exemple).
De décembre jusqu’à avril, la communication est centrée autour de Malgré Ma Mort, notre première parution. Et c’est normal : il y a eu une campagne Ulule, puis la sortie et enfin les premiers retours de lecture. Mon but en faisant ce plan de communication était d’assurer la meilleure visibilité possible pour le livre d’Onir Ynao et pour la maison d’édition.
Cependant, la communication intensive autour de Malgré Ma Mort arrive à son terme. Pourquoi ? Parce que nous avons une nouvelle parution qui arrive et sur laquelle nous devons nous concentrer pour qu’elle aussi ait la meilleure visibilité possible dès sa sortie. Cela veut dire que Malgré Ma Mort sera forcément mis de côté sur les réseaux sociaux de la maison d’édition, le temps que nous donnions la place à cette future parution.
Pour moi, c’est là que la communication d’un·e auteur·ice doit entrer en jeu. Pour l’après sortie. Chez Le Labyrinthe de Théia, nous n’avons pas encore un gros catalogue, mais nous devons déjà jongler entre les parutions. Alors imaginez les grosses maisons d’édition qui sortent parfois plusieurs romans en 1 mois… Vous comprenez qu’assurer une communication efficace pour plusieurs romans en même temps sur les réseaux sociaux est quasiment impossible.
Bien sûr, ici, je ne parle que des réseaux sociaux, car c’est le sujet, mais une maison d’édition mise sur d’autres leviers : les chroniqueur·euse·s, les relations presses, les salons, etc.
Pour moi, l’auteur·ice doit assurer la communication de son roman idéalement avant la sortie, mais surtout après. En plus de permettre au livre de poursuivre sa vie au-delà de la maison d’édition, cela donne le pouvoir à l’auteur·ice de prendre en main la viralité de son œuvre. Et aujourd’hui, c’est indispensable. Car, ce que je trouve dommage, c’est que beaucoup d’auteur·ice·s attendent énormément des maisons d’édition, notamment en termes de promotion, et y sont donc 100 % dépendant·e·s. Ce qui veut dire qu’iels ne créent pas leur propre communauté, ne gèrent pas leur propre image, ne contrôlent pas ce qui est publié sur elleux et leur livre, ne peuvent pas relancer les ventes si la maison d’édition ne peut plus mettre en avant leur livre…
Je trouve que c’est un vrai problème.
Je le dis et je le redis, même pour les auteur·ice·s en maison d’édition : prenez dès maintenant le pli de faire une partie de votre communication seul·e. Oui, une maison d’édition devra toujours faire 90 % du travail, c’est normal. Mais c’est vous aussi qui êtes les porteur·euse·s de votre livre, de votre propre image. Il n’est pas question ici de vous mettre en scène sur des Reels ou des vidéos TikTok. Il est question d’être présent·e sur plusieurs canaux de communication pour assurer votre notoriété, chose qu’une maison d’édition ne peut pas gérer sur le long terme.
Les réseaux sociaux sont éphémères
Aujourd’hui, nous prenons beaucoup trop de choses pour acquises. Personne ne s’interroge de la durabilité des réseaux sociaux alors qu’on s’interroge sans cesse sur la viabilité d’une petite maison d’édition qui se lance. Nous sommes aveuglés par la présence des réseaux sans jamais nous dire que du jour au lendemain, on pourrait tout perdre.
Et oui, les réseaux sociaux sont éphémères. Il n’y a qu’à voir l’évolution des dernières années, même des dernières semaines. Facebook s’est fait détrôner par Instagram qui lui-même est détrôné par TikTok. Twitter est en train de se casser la figure. Et qui sait encore ce qu’est Snapchat ?
Pour les auteur·ice·s qui me lisent aujourd’hui : essayez de varier vos canaux. Ne mettez pas tous vos oeufs dans le même panier. Les blogs et les newsletters ne sont pas morts. Mais dans tous les cas, ne confiez pas l’entièreté de votre communication à votre maison d’édition. Son but est de donner des ailes à votre livre pour qu’il puisse voler tout seul après. Et c’est à vous, auteur·ice, de le guider dans ce processus.
Selon moi, un·auteur·ice doit devenir influenceur·euse, et pas seulement pour vendre son livre : mais aussi pour avoir le contrôle de sa propre communauté et de sa propre notoriété. Et vous, quel est votre avis ?
Elodye H. Fredwell
