
L'écriture manuelle peut-elle disparaître ?
EgareM
Porté.e par Génération Écriture, je me suis posé, pour nos écrivains en herbe, la question suivante : L’écriture manuelle peut-elle disparaître ?
Avec l'arrivée des claviers dans notre quotidien, qui se sont peu à peu imposés jusqu'à être omniprésents depuis plus de vingt ans, on peut en effet se demander si l'avenir de l'écriture n'est pas via un clavier et sur un écran.
Naturellement, dans cet article, nous allons faire en sorte d’apporter quelques éléments de réponse, non exhaustifs car basés sur diverses recherches d’études contemporaines et historiques, mais également de témoignages et ressentis d’un panel de sondés au hasard.
Pour mener à bien notre étude, nous nous sommes également penchés sur les utilisations des écritures dites script, c’est à dire l’écriture détachée telle que nous la connaissons, manuellement ou sur nos écrans, et celle dite cursive, c’est à dire l’écriture en attachée, à laquelle les enfants des années quatre-vingt-dix peuvent penser comme étant celle « à la plume » de nos grand-parents.
Nous allons donc vous exposer les raisonnements et conclusions que nous avons tiré de nos réflexions en plusieurs parties :
1. L’écriture manuelle telle que le veut la tradition peut disparaître.
2. Mais elle peut renaître.
3. Et il y aurait au final un accord possible entre écriture manuelle et sur clavier.
1. L’écriture manuelle dite « traditionnelle » peut disparaître
C’est une peur, peut-être distillée par nos aïeux, que l’on a sans doute tous entendu nous dire « oui, mais c’était mieux avant ». Alors qu’est-ce qui était mieux avant ? Ici, nous parlons d’écriture, et associée à nos grand parents, pour les enfants des années 90-2000 et d’avant, cela donne cette écriture cursive, si élégante, alternant pleins et déliés, qu’ils avaient appris, parfois soumis à l’exigence des maîtres d’école.
Mais il est temps, déjà, de casser un premier préjugé : tout le monde n’écrivait pas, disons dans le siècle dernier, de cette belle et fluide écriture cursive issue des plumes que l’on glisse avec plus ou moins d’habileté dans les porte-plume et que l’on peine à manier de nos jours.
Déjà, il y avait des écritures « de cochon », avec ces gros pâtés dus à la plume qui accroche. Si l’on remonte un peu plus loin, courant XVIIème siècle, il est à noter que le Roi Soleil avait une écriture parfaitement disgracieuse. J’ai pu le constater de mes yeux en étudiant une lettre rédigée de sa main aux Archives Départementales de la Nièvre.
De plus, l’écriture cursive de nos aïeux les plus proches dépend également de la culture de ceux-ci. Malheureusement, il ne m’est pour le moment pas possible de vous parler de cela, étant d’étude et de culture exclusivement caucasienne.
Pour reprendre notre fil, même si l’écriture cursive semblait majoritairement être apprise dans les écoles et par la suite, a continué à être utilisée par nos aïeux proches, il semblerait que les générations suivantes, comptant selon nos sondages à partir des années 70/80, aient peu à peu, à l’âge adulte, abandonné l’écriture cursive pour adopter une écriture plus script, avant même d’avoir accès à nos portables et nos ordinateurs aussi quotidiennement que nous. Pour ce qui concerne les générations nées dans les années 90/2000, il s’agit même presque d’un rapport quasi-systématique.
Cela s’explique, d’après la réponse d’une professeure de français interrogée, que nous baignons actuellement dans un des supports de lecture uniquement rédigés en écriture script. Vous voyez, ces livres et manuels dans lesquels on nous plonge depuis l’enfance, mais également les ordinateurs, tablettes, téléphones et autres écrans comme la télévision, qui nous présentent tous de l’écriture script, connotant un clavier.
J’ai constaté moi-même, après avoir toujours écrit « en attaché », m’être soudain mis.e à écrire avec une nouvelle « écriture détachée » après une année sabbatique à la fin du lycée. Je n’ai pas immédiatement compris que c’était là, l’habitude de voir ces écritures script, sans doute associé
à l’apprentissage par immersion d’une autre langue, qui l’avait fait évoluer. J’étais parti.e en Angleterre et il est notoire que les anglophones écrivent et apprennent à écrire « en détaché ». Il est impressionnant de voir en combien de temps la culture d’un pays peut nous influencer dans les moindres détails.
D’après les sondages que nous avons faits, il est clairement ressorti que les interrogés nés entre les années 90 et 2000 préféraient écrire sur un clavier et que leur écriture, apprise cursive à l’école, était devenue script, en moyenne au tournant des années collège/lycée, pour des raisons allant de l’esthétique d’écriture au fait que cela fasse « plus adulte ».
Il est vrai qu’au grand désespoir de mes professeur.es, nombre de mes camarades se sont parfois essayés à l’écriture script accompagnée de points sur les « i » plus ou moins fleuris. Au delà de cela, à partir des années lycée, vous avez sans doute tous entendu le discours de « vous préparer pour la fac, où il faut prendre des notes », alors que les ordinateurs étaient pour la plupart des établissements – le mien et celui de mes connaissances pour le moins, encore interdits. Il a alors fallu écrire de plus en plus rapidement, pour arriver à suivre diverses cadences, avec des professeurs qui nous aidaient de manières aussi diverses. Et notre écriture s’en est ressentie : nous n’avions plus le temps de soigner nos lettres, l’important était de noter le maximum, et de bien le noter, parce que de cela dépendraient nos résultats scolaires.
C’est aussi la période où, pour les enfants des années 90/2000 qui étaient au collège ou lycée, aux générations précédentes déjà engagées dans la vie active, que nous avons tous peu à peu commencé à être équipés de portables de plus en plus performants. De véritables couteaux suisses, rapidement indispensables à nos vies. C’était par ce biais que nous communiquions désormais majoritairement, avec les ordinateurs portables qui envahissaient nos maisons, par mails, SMS et via les réseaux sociaux grandissants.
Cela a créé chez les habitués et plus encore celleux qui sont nés avec cet outil quasi-magique dans les mains, un besoin sociétal de partage rapide, donc d’écriture rapide. Écrire rapidement sur un clavier d’ordinateur pour prendre des notes en cours, noter rapidement quelque chose sur l’appli dédiée, ou dans son agenda, partager une anecdote... Communiquer par messages interposés peut même, parfois, avoir remplacé le déplacement dans une maison, pour demander quelque chose à l’un.e de ses proches.
Ce sont des habitudes, des automatismes que nous avons pris et qui ont bien vite remplacé une très grande partie de notre écriture manuelle. Si certains freins (tels que l’interdiction des portables et ordinateurs en écoles et dans certaines entreprises) n’avaient pas été mis en place, je gage que cette évolution et cette immersion aurait été bien plus rapide encore.
2. L’écriture manuelle peut renaître
Néanmoins, alors que le remplacement de nos artefacts et outils d’écriture manuels ont peu à peu été condensés dans nos téléphones et outils à clavier, des logiciels de reconnaissance d’écriture manuelle, permettant notamment de transmuter une page de note en texte dactylographié, voir de la transmuter en temps réel, sont apparus. Dans la même veine, sont nés les logiciels et tablettes, de plus en plus perfectionnés, permettant d’écrire directement avec un stylet sur notre écran. Écran qui lui-même devient parfois, non plus une surface de verre mais un support à « effet papier, comme si vous écriviez dans un carnet ».
Cela n’illustre-t-il pas une sorte de renaissance, un cycle ?
Illustrant parfaitement ce cycle évoqué, il est à noter que l’histoire a toujours vu l’écriture alterner entre script et cursive. Il est par exemple possible de parler de deux styles d’écriture que les calligraphes en herbe et passionnés d’histoire connaissent à coup sûr : les écritures romaines et gothiques.
La première pourrait être reconnue comme une ébauche de notre écriture script actuelle, ayant notamment donné forme à la célèbre police « Time New Roman » avec laquelle je rédige cet article (police différente utilisée lors de la mise en ligne de l’article, ndlr.). Elle est issue de l’écriture manuscrite « caroline », qui a fait naître l’écriture typographique romaine, des caractères d’imprimerie italiens.
La seconde est directement associée, dans l’imaginaire collectif, à l’écriture à la plume, au moyen-âge. Elle est native des royaumes anglo-normand et a la particularité connue, et qui nous intéresse ici, de pouvoir être écrite en attaché, tout comme en détaché.
Les deux polices citées, déjà historiquement usitées à la plume par les personnes ayant appris à lire et à écrire, ont également été utilisées pour les caractères d’imprimerie, ce qui semble être une suite logique. Et les caractères d’imprimerie, se développant à partir du XVème siècle avec l’utilisation des presses, maniés par des ouvriers typographes dans des cassettes où ils étaient soigneusement rangés, ne sont-ils pas les précurseurs des claviers ?
Ces derniers n’ont bien entendu été inventés que quatre siècles plus tard, étendant les productions typographiques au-delà des livres, billets et affiches produites par les imprimeries. Des lettres, des documents commencèrent à être produits, mais, pour les enfants des années 90/2000 et même avant, vous vous souviendrez encore du permis de conduire ou de l’acte de naissance de vos parents ou grand-parents, pré-écrits à la machine et dont les noms avaient ensuite étés remplis à la main, d’une écriture plus ou moins jolie, parfois à la plume.
Les machines à écrire, tout comme les ateliers d’imprimerie avant elles, se sont perfectionnées, et leurs utilisateur.ices également. Tout comme se sont ensuite perfectionnés nos ordinateurs et nos portables, en quête de rapidité, d’efficacité et d’accessibilité.
3. Une fusion possible ?
Selon les besoins, il est donc tout à fait possible que le cycle se poursuive de la sorte, depuis l’écriture cursive à l’écriture script, depuis l’écriture manuscrite à celle, typographique. Combien d’enfants ont déjà appris à lire et à écrire, pour le moins en partie, sur des tablettes ou des téléphones, alors que les parents leur en laissaient l’accès ?
Il peut être amusant, comme cela l’était à d’autres époques, de tracer avec son doigt les lettres de son prénom ou des mots connus dans l’application de dessin du téléphone de maman. Il peut pédagogique de parvenir à reconnaître et déchiffrer de plus en plus en mots en parcourant les applications ou les jeux du téléphone de papa.
D’autant plus que cette question de « L’écriture manuelle peut-elle disparaître ? » est une crainte populaire venue avec la traditionnelle peur du changement et de l’évolution. Ses défenseurs, ainsi que des scientifiques, concernés et autres attentifs, ont pour cette cause et diverses autres raisons, avancé des arguments en faveur de l’écriture manuelle que nous allons étudier maintenant :
Il a été dit, notamment lors des argumentaires pour ne pas autoriser les ordinateurs à l’école, ou pour des élèves se créant des fiches de révision après leurs cours ou avant leurs examens, qu’écrire, plutôt que de taper les mots sur un clavier, favorisait l’intégration dans la mémoire des informations, notamment grâce au lien se faisant entre les actions d’écrire les mots et celui de les penser.
De plus, certaines professions, telles que les métiers exercées en atelier ou dans le bâtiment, bien que nécessitant le travail sur un plan, peuvent également voir comme évident l’utilisation d’un carnet de notes pour prendre les mesures, effectuer les calculs et mettre à l’abri nos écrans, car bien que fort utiles, les portables et autres outils électroniques restent fragiles et ne sont pas forcément à leur aise dans ce genre d’espaces.
Encore, certaines personnes aiment travailler avec les deux supports. Comme exemple premier, j’illustre ma personne, écrivant cet article : il se trouve que j’ai réalisé un questionnaire de sondage et effectué des recherches en grande partie via un téléphone ou un ordinateur portable, mais j’ai ensuite pris des notes directement sur des feuilles blanches volantes, organisé mon plan sur une autre, et je les ai enfin disposées autour de mon document d’écriture, sur ordinateur portable. C’est à mon sens une organisation plus ergonomique que celle d’aller d’une page à l’autre et la différenciation entre mon document « au propre » et mes brouillons griffonnés m’apporte une certaine conscience des étapes effectuées.
La communion du clavier et de la plume peut donc se révéler parfaitement complémentaire dans l’accomplissement d’une tâche, améliorant la productivité de son auteur.ice. Enfin, j’ajouterais, peut-être pour les artistes et les écrivain.es qui me lisent, que nous sommes parfois ou souvent amenés à aller d’un support d’écriture à l’autre pour plusieurs raisons : prendre des notes, sauvegarder nos idées… mais également être plus proche de son écriture, de son univers. Certain.es ressentent le besoin de tenir un crayon et d’écrire sur papier pour se sentir en communion avec leurs personnages et leur univers.
Personnellement et anecdotiquement, j’aime à aller multiplier les médiums selon mon humeur et le contexte dans lequel j’écris, étant de crayon et papier, ou clavier, allant de celui d’une machine à écrire, d’un ordinateur ou même celui de mon portable.
Pour conclure
L’écriture manuelle peut-elle disparaître ? Tout au long de cet article, nous nous sommes posés la question et nous avons apporté des éléments de réponse qui semblent indiquer que si l’écriture manuelle pourrait, dans un futur aussi présent que lointain, être amoindrie comme elle l’a été ces vingt, et même quarante dernières années, il semble néanmoins peu probable qu’elle soit amenée à complètement disparaître, à moins que d’un commun accord, toutes les sociétés du monde apprennent aux nouvelles générations à écrire directement sur un clavier, sans jamais apprendre à former des lettres ou tenir un crayon, ce qui paraît, à défaut d’oser dire dystopique, irréaliste.
Il semblerait plutôt réaliste que l’écriture manuelle et l’écriture via un clavier continuent de coexister sous diverses formes, et divers supports, à s’entremêler, comme elles l’ont toujours fait, par le passé et dans notre présent.
EgareM
